Dans les déserts de l'Ain

Dans les montagnes du Bugey ou dans les plaines de Bresse et Dombes, les Chartreux ont trouvé les conditions d’isolement nécessaires à l’installation de plusieurs monastères. Sur le territoire de l’Ain se sont ainsi élevées huit chartreuses, dont une de moniales. Durant sept siècles jusqu'à leur dispersion à la Révolution, les Chartreux y ont mené une vie contemplative et favorisé la commande d'objets d'art d'une grande richesse.

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A la recherche d'un idéal

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Virignin - Galerie du grand cloître de la chartreuse de Pierre-Châtel

Au début du Moyen-Age, l’évolution de la société médiévale connaît une augmentation significative de sa population ayant pour conséquence la création de nouveaux villages et paroisses, assortie de l'expansion des terres cultivées. Les Comtes de Savoie et les Dauphins du Viennois règnent en maîtres. La situation du monachisme dans l'Ain évolue également avec l’apparition de nouveaux ordres, l'idéal bénédictin ne répondant plus aux aspirations des moines.


En montagne ou en plaine, huit chartreuses sont fondées entre 1115 pour celle de Portes, et 1383 pour Pierre-Châtel. Elles établissent des déserts autour du monastère, espaces réservés, dotés de limites qui constituent la seule véritable clôture, au-delà de celle de la cellule occupée par le moine. Les possessions, bois ou pâturages, s'étendent progressivement hors des limites du désert proprement dit, les acquisitions de dépendances extérieures, celliers ou autres granges, se multipliant pour répondre à l’expansion des diverses activités pastorales ou viticoles.



Une histoire mouvementée

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Simandre-sur-Suran - Vue aérienne de la chartreuse de Sélignat

Les épidémies et les guerres qui sévissent dans les années 1630, en particulier la conquête des pays de l'Ain par Henri IV et la guerre franc-comtoise, mettent à mal la plupart des chartreuses. De grands travaux s'engagent nécessairement pendant tout le 17e siècle transformant les vieux monastères en des couvents « modernes » au plan bien défini et dotés de beaux objets d'art.

Arrivent la Révolution et la suppression de tous les ordres religieux réguliers le 13 février 1790. Elle est suivie de la mise en vente des biens des Chartreux et de la destruction de nombreux bâtiments. Au cours du 19e siècle, le pillage continue : les chartreuses sont dépecées et exploitées comme carrières de pierre. Deux seulement échappent en partie aux ravages : la chartreuse de Portes conservée à peu près en l'état de son âge d'or, et celle de Pierre-Châtel, transformée en prison et qui garde quelques temps sa fonction militaire. Sélignat, dont seuls les bâtiments d'entrée avaient échappé aux démolitions révolutionnaires, fut reconstruite à peu près à l'identique.


Objets mobiliers, témoins de la splendeur baroque

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Nantua - Abbatiale Saint-Michel, ange agenouillé, marbre provenant de la chartreuse de Meyriat, 1781, classé MH

Les chartreuses de l’Ain présentaient nombre de sculptures, peintures, stalles ou autels d'une qualité exceptionnelle, témoignages de la vitalité et du sens artistique de cet ordre emblématique du département. La Révolution a presque tout fait disparaître : deux chartreuses seulement ont échappé en partie aux ventes et aux destructions, mais aucun objet d’art n’est resté in situ.

Malgré ces pertes immenses, il demeure encore beaucoup d’œuvres, les Chartreux eux-mêmes en ayant confiées une partie avant leur départ, soit à des paroisses environnantes, soit à des proches. Les acquéreurs de biens nationaux (l’Etat ou des particuliers) ont récupéré ce qui était resté sur place et une petite partie a pu être transmise et placée dans d’autres édifices. Ainsi, les statues en marbre de la façade de l’église de Sélignat, œuvres du sculpteur Joseph Chinard, ont été conservées : celle de Saint Bruno est visible à l’intérieur de l’église de Saint-Denis-les-Bourg. Les boiseries et le maître-autel du chœur de Nantua proviennent de la chartreuse de Meyriat. Les grandes toiles des épisodes de la vie du Christ de Nicolas Brenet et celles de saints personnages de Jean-Jacques Lagrenée ou Jean-Baptiste Hutin commandées pour la chartreuse de Montmerle sont aujourd'hui exposées dans les églises de Pont-de-Vaux et de Saint-Bénigne. En revanche, on a connaissance de dizaines de tableaux de maîtres de la chartreuse de Meyriat qui ont totalement disparu, malgré leur transport à Nantua. Par ailleurs, certains objets mobiliers des chartreuses de l’Ain ont quitté le département, tandis que d’autres ont suivi le chemin inverse… Pour exemple, les belles stalles gothiques visibles dans l'église d’Yenne en Savoie proviennent de Pierre-Châtel, tandis qu’une partie du mobilier de la chartreuse de Vaucluse dans le Jura fait la fierté de l’église d’Arbent dans l'Ain.

Le regain d’intérêt porté aux chartreuses de l’Ain par le biais de commémorations ou de publications, permet de mieux connaître le legs cartusien. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire, avec le concours des historiens et des chercheurs locaux, pour répertorier en détail les objets dispersés et procéder à leur protection systématique.

Voir "Objets mobiliers des chartreuses"


Consulter d'autres ressources sur les chartreuses



Les mots à comprendre

Désert : espace réservé caractéristique de l'organisation primitive des chartreuses. Autour du domaine qu'ils désirent occuper, les Chartreux tracent des limites, à l'intérieur desquelles ils revendiquent le privilège exclusif de racheter toutes les terres, en restreignant les droits des propriétaires ; ils s'engagent, en revanche, à ne rien acquérir hors de ces limites.

Joseph Chinard (Lyon 1756 - Lyon 1813), sculpteur français à la solide réputation, professeur à l'Ecole de Lyon, membre correspondant de l'Institut.

Nicolas Brenet (Paris 1728 - Paris 1792), peintre et graveur, l’un des meilleurs peintres d’histoire français de la seconde moitié du 18e siècle. 

Jean-Jacques Lagrenée, dit Lagrenée le Jeune  (1739-1821), peintre, pastelliste et dessinateur français. Son talent de décorateur lui vaut d'être choisi comme directeur de l'Académie de la Manufacture de Sèvres.

Jean-Baptiste Hutin, peintre né vers 1725 à Paris. Professeur à l’Académie de Saint-Luc, il y expose en 1756 et 1764.

Ailleurs sur le web

En savoir plus sur le sujet

Les fonds d'archives des chartreuses sont conservés pour partie aux Archives départementales de l'Ain (série H)

Chartreuses de l'Ain, ouvrage sous la direction de Paul Cattin, collection Patrimoines des Pays de l'Ain, 2011
Ouvrage en consultation au
Centre de documentation - Service Patrimoine culturel