Le céramiste Bonifas

Quand le céramiste genevois Paul Bonifas implante son atelier à Ferney-Voltaire en 1922, son objectif est ambitieux : transformer une activité artisanale séculaire en industrie du luxe.

Sa conception de l'objet, fonctionnel et beau, ainsi que sa volonté de mécaniser la production font de Bonifas un pionner de l'Art Déco et du design.

Photo vase de Bonifas, photo Département de l'Ain (jpg - 2742 Ko)

Les années de formation

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Bonifas, vases blanc, céladon et en terre lustrée noire.

Élève de l’École des beaux-arts de Genève de 1910 à 1913, Bonifas effectue en parallèle un apprentissage de graveur-bijoutier dans l’atelier de son père. L’émail devient pour lui un matériau de prédilection, sujet à expérimentations : il conduit des recherches sur la pâte de verre et la céramique afin d’obtenir des matières nouvelles. Le jeune homme étudie ensuite la chimie et la minéralogie, avant d’entrer à l’École suisse de céramique, près de Lausanne, où il poursuit ses recherches sur les émaux.

Pourvu d’une solide formation, il ouvre en 1914, à 21 ans, un premier atelier de céramique à Versoix, près de Genève. Assisté d’Alice Sordet, qu’il épouse en 1917, il fait des expériences fécondes mais difficiles. La guerre le prive de débouchés et de matières premières, ce qui le pousse à privilégier le grès, présent dans le sous-sol helvétique. Excellent tourneur, il participe à plusieurs expositions avant la destruction totale de son atelier par un incendie en décembre 1919. Il part alors travailler à Paris dans une fabrique de porcelaine spécialisée dans la reproduction d’anciens.

De 1921 à 1922, il devient secrétaire de la revue L’Esprit nouveau. Au cœur des débats des avant-gardes de l’époque, il côtoie Le Corbusier, Amédée Ozenfant, Jean Cocteau... Des années déterminantes pour sa vision de l’esthétique et du rôle de l’artiste dans la société contemporaine.


Les premières années ferneysiennes

Apprenant par son père la vente d’un atelier à Ferney-Voltaire, Bonifas quitte Paris en 1922. Il s’installe au 38 Grande Rue où il reprend l’ancienne poterie des frères Berguer, céramistes suisses qui avait eux-mêmes succédé à la maison Jean Johannel.

« Deux ans et demi après l’incendie de Versoix, je m’installe dans les ateliers de Ferney, à la frontière franco-suisse. Ces deux ans et demi furent riches en événements et expériences. Se remettre à " penser pots " dans les conditions offertes nécessitait une étude de moyens mis à disposition par des ateliers dont la production ne peut être arrêtée, tous les membres de l’équipe travaillant à maintenir cette production et se montrant non seulement habiles, mais aptes à toutes sortes d’efforts et de tentatives pour donner un intérêt nouveau aux produits. Pendant quatre ans les techniques et les matériaux de la « poterie commune » furent appliqués à des recherches sans nombre, dans le but de libérer une tradition de la routine qui menaçait de devenir ornière. »
Paul Bonifas

Une transformation radicale de la production

Bonifas met sa forte personnalité au service d’un changement radical des mentalités, des méthodes et du type de productions de l’atelier. L’artiste cherche sans relâche à mettre en adéquation ses aspirations intellectuelles et sociales avec ses créations. Ses recherches incessantes sur les matières, les émaux et les formes transforment progressivement le quotidien de la petite fabrique, jusque-là spécialisée dans la poterie vernissée et les objets souvenirs. En quelques années, l’évolution est radicale : les terres vernissées tournées à la main, d’inspiration dite savoyarde, cèdent la place à des œuvres calibrées au moule, plus sobres. Les « pièces de forme », sculpturales et pures, côtoient les productions sérielles. Son œuvre est caractéristique d’une époque de profonde mutation artistique, tant sur le plan technique qu’esthétique.


La série, un « luxe » abordable

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Bonifas, galerie Kiefer à Génève dans les années 50

Plusieurs facteurs poussent Paul Bonifas à la diffusion d’une poterie d’usage courant, dans l’esprit d’une production en série fonctionnelle comme de grande qualité esthétique. Son programme de fabrication d’objets utilitaires est tout d’abord motivé par des objectifs économiques. Dès 1929, la poterie vernissée décline, conduisant Bonifas à trouver un nouveau type d’article de consommation régulière, bon marché et facile à écouler. La production en série d’éléments utilitaires en terre réfractaire résistant à de brusques températures parait répondre à ces critères. Les articles de cuisine (services à café, à thé ou à déjeuner), les catelles de cheminée, les pieds de lampe tronconiques domineront alors la production des années 1930.

Ce type d’objets, qui constituent un « luxe » abordable, répond par ailleurs à une éthique sociale et une démarche philosophique de l’artiste. La production mécanique d’objets usuels en série permet d’en abaisser le coût et en facilite ainsi l’accessibilité au plus grand nombre. L’objet de série, comme l’objet artistique unique ou en série limitée, seront deux types d’activités fermement défendues par l’artiste : « libre de concevoir une œuvre et d’en exécuter le modèle de telle sorte que l’industrie pourra reproduire en série... ». Servir et ennoblir l’univers quotidien des hommes sont pour lui des principes fondateurs de son travail.

Malgré ses efforts d’inventivité technique, formelle, commerciale, il sera impossible à Bonifas de répondre à l’ampleur du marché français. Le succès rencontré dépasse les capacités techniques de production de l’atelier ferneysien. Bonifas se tourne alors vers le marché suisse. Cependant, ni la production, ni la diffusion à une échelle véritablement industrielle ne lui permettront de rivaliser avec des fabrications plus commerciales.


À la croisée des inspirations : de la Grèce antique à la Chine millénaire...

Paul Bonifas se distingue par la puissance et l’étonnante diversité de son œuvre. Poursuivant sans relâche ses recherches artistiques, il expérimente de front les matériaux, les techniques, les formes les plus variées. L’acuité et la modernité de son sens esthétique le poussent à explorer les sources d’inspiration les plus diverses, sans jamais tomber dans la facilité ni la copie. Mais le large spectre de ses influences ne doit pas masquer la grande cohérence de sa démarche, mise au service de valeurs artistiques tendant à l’universalité.

Certaines de ses pièces sont tour à tour imprégnées d’une influence précolombienne, chinoise ou encore antique. Mais le créateur s’approprie les formes et les matières, joue avec les associations et les contrastes. Les héritages lointains sont croisés, confrontés, réinterprétés... pour donner naissance à un langage artistique contemporain et très personnel.

Ainsi, Bonifas puise aux sources du classicisme et des plus brillantes civilisations pour créer un cadre de vie moderne et fonctionnel, servi par les avancées technologiques de son époque.


Une renommée internationale

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Exposition "Luxe, forme et volupté" présentée en 2008-2009 au Fort l’Écluse (01)

Tout au long de sa carrière, Paul Bonifas expose ses œuvres dans les plus grandes manifestations européennes et internationales de l’époque. Il reçoit de nombreux titres, diplômes et médailles et acquière peu à peu reconnaissance et succès auprès des milieux artistiques genevois et parisiens.
Le développement de sa réflexion de théoricien de l’esthétique fait de lui un conférencier recherché, capable d’intervenir dans les domaines de la céramique, de la verrerie, des arts décoratifs. Il diffuse son savoir auprès de sociétés artistiques, écoles des beaux-arts et lors d’expositions, salons ou émissions radio. Il participe à des travaux littéraires et collabore à diverses revues en France comme à l’étranger.

Ce parcours trouve un prolongement en 1945, lorsqu’il quitte l’Europe pour les États-Unis, afin d’organiser une section de céramique d’art à l’Université de Washington. Au contact du « Nouveau Monde » et dans le contexte de l’après-guerre, sa démarche artistique trouve alors un nouvel élan, où l’individu et son devenir sont au cœur de la réflexion.

Céramiste de talent, Paul Bonifas entre, de son vivant, dans les collections de musées. Aujourd’hui, son œuvre exportée à l’international, figure dans les collections privées européennes, américaines ou japonaises, comme dans nombre de collections publiques : États-Unis : Seattle Art museum ; Suisse : Musée Ariana de Genève, Musée des beaux-arts de Zurich, Bâle, La Chaux-de-Fonds, Neuchâtel, Lausanne ; Portugal : Museu Nacional do Azulejo de Lisbonne ; France : Musée Galliera, Musée des Arts décoratifs, Musée d’art moderne de Paris, Ville de Ferney-Voltaire, Conservation départementale-direction des musées à Bourg-en-Bresse.



Envie de visiter ?

La poterie à Ferney-Voltaire, exposition permanente pour découvrir les créations de trois fameux ateliers : Hécler, Nicole et Bonifas.

Les mots à comprendre

Art Déco : mouvement artistique né en Belgique au cours des années 1910 et qui se termine dans les années 1930. 1er style a avoir une diffusion mondiale, il se caractérise par des lignes simples, des formes géométriques, des compositions classiques et par un emploi parcimonieux du décor.

Catelle : carreau de faïence vernissée.

Grès : terre glaise mêlée de sable fin dont on fait des poteries.

Tronconique : en forme de tronc, de cône.

Ailleurs sur le web

Le musée Ariana de Genève possède une partie de la collection prêtée au Département en 2008-2009 pour l'exposition au Fort l'Ecluse "Luxe, forme et volupté"

à lire sur le sujet

Luxe, forme & volupté... Aurélie carré, Jasmine Covelli, journal de l'exposition 2008-2009

 

 

Couverture du journal d'exposition (jpg - 181 Ko)