Le repas gastronomique des Français en Bresse

« Le repas gastronomique des Français » est inscrit sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité le 16 novembre 2010, à Nairobi, au Kenya, lors du 5e Comité intergouvernemental des États Parties à la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. L’année 2010 fait date : pour la première fois, des cultures alimentaires sont patrimonialisées et bénéficient d’une reconnaissance internationale.

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Une inscription progressivement soutenue

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Banquet des conscrits à St-Cyr-sur-Menthon

Pendant longtemps, les travaux menés par les universités et les centres de recherche sur l’alimentation sont considérés comme marginaux ; la politique culturelle guidée par les pouvoirs publics sur ce thème reste rare.

L’idée de l’inscription est initiée par l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation (IEHCA, université François Rabelais, Tours).

Elle est accréditée par des autorités publiques et relayé par un comité de soutien réunissant des universitaires, élus, gastronomes, cuisiniers du quotidien, agriculteurs, grands chefs tels Paul Bocuse, Alain Ducasse, Pierre Troisgros, Marc Veyrat... 

Le 23 février 2008, lors de l’inauguration du Salon international de l’Agriculture, le président de la République annonce officiellement la candidature de la France.


Les fondements scientifiques

En 2008, « Le repas gastronomique des Français » est intégré par la Mission ethnologie du ministère de la Culture à l’Inventaire du Patrimoine Culturel Immatériel de la France, condition préalable à l’inscription à l’Unesco.

Cette même année, la Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires (MFPCA) présidée par Jean-Robert Pitte, géographe spécialiste de la gastronomie et du paysage, est créée pour piloter le montage du dossier. Julia Csergo, historienne de la période contemporaine, spécialiste de la gastronomie,  est mandatée pour rédiger le dossier.

Du 03 au 17 juillet 2009, elle mène une enquête dirigée par le Crédoc qui démontre l’attachement de la communauté des Français à la gastronomie.


Une re-définition du terme « gastronomie »

Pour les besoins du dossier, Julia Csergo retravaille la définition du terme « gastronomie » ; c’est « l’expression culturelle du bien manger et bien boire à travers toutes les cultures et expressions différentes ». 

Elle s’appuie sur l’étymologie qui signifie « la loi du ventre » (gastro-estomac / nomie-loi), sur l’historique de la définition qui a évolué, notamment avec des critiques gastronomiques comme le belleysan Brillat Savarin et sur la polysémie du terme intégrant d’une part, la vision d’une haute gastronomie, héritée des cours royales et princières, aujourd’hui encore apanage des élites et proposée par les chefs étoilés et incluant d’autre part, la cuisine populaire, familiale, bourgeoise, de rue, qui se transmet de génération en génération par l’intermédiaire de relations familiales, amicales et sociales.


La teneur du « repas gastronomique des Français »

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Banquet des conscrits à St-Cyr-sur-Menthon

Il correspond  à un repas festif, parfois désigné sous le nom de « festin », « gueuleton », « bonne bouffe ».

Cette pratique sociale immatérielle et coutumière célèbre un événement important et heureux de la vie (naissance, anniversaire, mariage, succès, retrouvaille...).

Il réunit un groupe de convives (familial, associatif, village...) dans un lieu privé (à la maison) ou public (restaurant, salle des fêtes...).

Le sens et les fonctions sociales attribués à ce repas sont communs aux Français. C’est l’occasion de pratiquer « l’art de bien manger et de bien boire ».

Ce repas privilégie la convivialité, le bien-être ensemble et la satisfaction de partager le plaisir du goût. Il est l’expression de la volonté de conserver l’équilibre entre les productions de la nature et celles de l’être humain. Il renforce les liens familiaux, amicaux et sociaux.


Les caractéristiques du « repas gastronomique des Français »

Il est constitué par un ensemble de rites immatériels qui le dissocient du repas quotidien, mobilisant une disponibilité de temps, des savoirs et des savoir-faire transmis de génération en génération, qui s’ouvrent aux différentes cuisines, aux traditions et aliments divers, fondement d’une recréation permanente.
Les rites sont :

  • L’ anticipation comprenant trois actes : réfléchir au menu en puisant dans un corpus de recettes familiales, régionales ou de grands chefs et qui s’enrichit continuellement. Rechercher et s’approvisionner en « bons produits », c’est-à-dire des produits liés à la notion de terroir dont la provenance géographique est marquée, issus d’un savoir-faire ancien et dont la qualité gustative, nutritionnelle et sanitaire est assurée. Prévoir le mariage des mets et des vins et imaginer l’accord des saveurs.
  • Le respect de la structure du repas comprenant une succession de quatre à six plats (potage, entrée, poisson et/ou viande avec légumes, fromage, desserts) et l’esthétisation de la table avec des services qui visent à sublimer l’aliment et son goût, des éléments décoratifs, le pliage des serviettes, le placement des convives...
  • La consommation du repas comprenant une gestuelle codifiée (aérer et décanter les vins, humer, goûter, découper les pièces de viande et des expressions orales (échange sur les aliments, utilisation d’un vocabulaire spécifique relatif au goût, à la recette, à l’assaisonnement...).

Sa pratique en Bresse au début du 20e siècle

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Menu du banquet des conscrits à Neuville-les-Dames, 1926

Les menus sont une expression matérielle du « repas gastronomique des Français » et de ses codes. Ils permettent de reconnaître la structure du repas et d’appréhender l’anticipation précédant le menu.

Parmi la collection de 1 019 menus conservée par la Direction musées départementaux de l’Ain, 258 proviennent de Bresse, 28 d’entre eux sont des menus de fête.

L’étude de ces menus révèle que, dans la première moitié du 20e siècle, la codification présentée dans le document de l’Unesco ne se retrouve que partiellement. Les repas de cette période se caractérisent par l’opulence et la richesse du nombre de plats, la complexité des recettes, les références à des mets de l’Ancien Régime.

Ces menus semblent exprimer les valeurs de la bourgeoisie qui fait valoir ses richesses au travers de l’opulence de son alimentation et des référentiels à une noblesse dont elle s’inspire.


Sa pratique en Bresse après 1950

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Menu du banquet des conscrits de St-Cyr-sur-Menthon, 2013

C’est à partir de la seconde moitié du 20e siècle que les repas festifs consommés en Bresse coïncident avec « le repas gastronomique des Français ». La structure du repas et la succession des plats sont formalisées.

La mention des vins indique que l’accord des mets et des vins revêt une nouvelle importance. L’équilibre du menu révèle l’accord des saveurs. Le terroir, avec ses produits et ses recettes, est parfois l’objet d’une exaltation.

Ces menus expriment une valorisation de l’équilibre entre l’environnement, l’animal et l’humain en se réfugiant dans les valeurs du terroir et de la santé.


Les conscrits 2013 en Bresse : témoin contemporain du repas gastronomique

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Conscrits de Bourg-en-Bresse, 2013

Un reportage photographique à caractère ethnographique témoignant de la pratique du repas gastronomique des Français en Bresse aujourd’hui a été mené lors du repas festif des conscrits de Saint-Cyr-sur-Menthon du 12 janvier 2013 et du repas festif des conscrits de Bourg-en-Bresse du 20 janvier 2013.

Ces photographies ont pour objectif saisissent l’immatériel, l’intangible et le furtif. Elles illustrent certains des rites propres au repas festif : le respect de la succession des plats, la gestuelle qui accompagne la consommation de ces plats, l’esthétisation des tables, l’ambiance festive, la convivialité, le partage.