Histoire de la colonie d'Izieu

Prises dans le chaos de la guerre et fuyant la persécution antisémite, de nombreuses familles juives traversent l'Europe et cherchent à se cacher. Les enfants réfugiés dans la colonie d'Izieu fondée au coeur du Bugey par le couple Zlatin étaient d’origines diverses : allemande, polonaise, autrichienne, belge ou encore française, de métropole ou d’Algérie. Pour beaucoup orphelins, ils vécurent là quelques temps protégés... Le 6 avril 1944, ils seront rattrapés par la fureur de la barbarie nazie.

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Vue d'ensemble du site d'Izieu

La détermination du couple Zlatin

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Sabine Zlatin en uniforme d’infirmière de la Croix-Rouge (détail)

Sabine et Miron Zlatin, arrivés de Pologne et de Russie en France dans le courant des années 1920, et naturalisés français en 1939, sont installés à Montpellier. Congédiée de la Croix-Rouge et de l’hôpital militaire de Lauwe, où elle était infirmière, en raison des lois antisémites de Vichy, Sabine Zlatin propose ses services à la préfecture de l’Hérault pour travailler dans les camps d’internement.
Elle devient alors assistante sociale de l’Oeuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.) et aide à libérer des enfants des camps d’Agde et de Rivesaltes.
En 1942, Sabine Zlatin prend la direction d’un home d’enfants, le « Solarium marin » à Palavas-les-Flots qui accueille les enfants juifs sortis des camps pour leur procurer les premiers soins avant de leur trouver un autre lieu d’hébergement.
Avec l’occupation de la zone sud en novembre 1942, huit départements de la rive gauche du Rhône sont occupés par les Italiens qui font preuve de plus de clémence à l’égard des Juifs.
C'est pourquoi, en avril 1943, les époux Zlatin quittent Montpellier pour gagner Chambéry avec une quinzaine d’enfants juifs. Sabine Zlatin se rend à Belley.
En mai 1943, avec l’aide sans faille du sous-préfet de Belley, Pierre-Marcel Wiltzer, Sabine et Miron Zlatin installent la « Colonie d’enfants réfugiés » au hameau de Lélinaz à Izieu, en toute légalité et dûment déclarée aux administrations. Sabine reste basée à Montpellier pour mener ses activités de sauvetage et d’aide. Elle se rend périodiquement à la colonie d’Izieu.
Miron Zlatin, présent au quotidien, gère l’intendance. De nombreux enfants juifs, venant de toute l’Europe, pour beaucoup orphelins, dont les parents ont été déportés ou internés, affluent à la colonie entre juillet et septembre 1943. Ils viennent le plus souvent des centres de l’Union générale des Israélites de France (UGIF) de Lyon et Grenoble. L’effectif peut alors atteindre 80 enfants, âgés de 4 à 15 ans environ. Ceux-ci restent parfois quelques semaines avant de rejoindre une autre colonie, d'autres y séjournent plusieurs mois.


Le piège se referme sur les enfants

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26 mars 1944, douze jours avant la rafle.

Depuis la capitulation de l’Italie en septembre 1943 et l’occupation de l’ex-zone italienne par les Allemands, les réfugiés juifs ne sont plus à l'abri de la répression génocidaire.
Les conditions deviennent défavorables au maintien de la colonie d'Izieu.
Le 7 janvier 1944, le docteur Ben-Drihem, médecin juif installé à Brégnier-Cordon, qui soigne Sabine Zlatin, est arrêté par les autorités allemandes.
Le 5 février, une vaste opération de répression s’abat sur la région, se soldant par de nombreuses arrestations et exécutions sommaires.
Le 8 février, la Gestapo perquisitionne les locaux de la 3e direction de l’UGIF à Chambéry, dont dépend financièrement la colonie d’Izieu.
Le 6 mars, le sous-préfet Wiltzer est muté dans la Vienne : la colonie perd son plus précieux soutien.
Consciente du danger et revenue à Izieu en mars, Sabine Zlatin retourne dans les tous premiers jours d'avril à Montpellier pour tenter de disperser la colonie et trouver des hébergements pour les enfants. C'est durant son absence que le drame s’est joué.
L’opération est lancée sur ordre du chef de la section 4 (SIPO-SD) de la Gestapo de Lyon, le SS-Obersturmführer Klaus Barbie, sans que l'on puisse affirmer qu’il était présent le jour de la rafle.


Dans la tourmente de la Shoah

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Monument commémoratif à Brégnier-Cordon

45 enfants prennent leur petit-déjeuner dans le réfectoire de la colonie. Huit adultes sont présents. Vers 8 h 30, deux camions et une traction arrivent dans la cour. Trois hommes en civil, dont deux officiers de la Gestapo de Lyon et une quinzaine de soldats de la Wehrmacht surgissent.
Sans ménagement et avec une rapidité effrayante, les enfants et les adultes sont poussés dans les camions. Seul Léon Reifman, juif roumain de 30 ans, échappe à l'arrestation en sautant par une fenêtre à l’arrière de la maison. Le convoi marque un arrêt un kilomètre en contrebas, au hameau de la Bruyère (Brégnier-Cordon) pour faire le plein de bois pour alimenter les moteurs à gazogène. Une employée de la confiserie Bilbor reconnaît René Wucher, 8 ans, seul enfant non juif de la colonie, qui est libéré.
Le convoi repart et emmène les raflés à la prison du fort Montluc à Lyon.
Le lendemain, les enfants sont transférés au camp de Drancy. Le 13 avril, 34 enfants d’Izieu et quatre éducateurs sont déportés à Auschwitz-Birkenau et gazés à leur arrivée. Seule Léa Feldblum, éducatrice de 26 ans, survit. Les autres sont déportés à Auschwitz les 29 avril, 20 mai, 30 mai et 30 juin et assassinés dans les chambres à gaz.
Miron Zlatin, Théo Reis et Arnold Hirsch sont déportés le 15 mai vers l'Europe du nord, et fusillés en Estonie dans la région de Reval (actuelle Tallin).

Sabine Zlatin, alors à Montpellier, est avertie de la rafle par un télégramme de Marie-Antoinette Cojean, secrétaire de la sous-préfecture de Belley. Malgré ses multiples démarches, aucun des raflés d'Izieu ne sera libéré. Elle ne reverra pas non plus son mari Miron Zlatin.
Le 6 avril au soir, Klaus Barbie envoie un télex signé de son nom à ses supérieurs de la Gestapo parisienne pour annoncer la liquidation de la colonie d'Izieu. L’original de ce document, retrouvé par Serge Klarsfeld en 1983, servira de pièce à conviction lors de son procès à Lyon en 1987 pour établir son entière responsabilité dans la déportation des enfants d'Izieu. La manière dont il a été informé de l’existence de la colonie n’a cependant pas encore pu être établie, les hypothèses de dénonciation n’ayant pu être confirmées à ce jour.


De Nuremberg à la Haye : juger les criminels

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Extrait de l'exposition

Après la guerre, vient le temps de la justice, l’étape indispensable pour établir les différents niveaux de responsabilité des criminels, mettre en lumière les mécanismes de la destruction conduisant des êtres humains à perpétrer des crimes contre d’autres humains et à violer l’ordre de l’humanité.
Des crimes de masse ont eu lieu avant la Seconde Guerre mondiale. D’autres ont été commis depuis. Le 20e siècle est celui de la construction de la justice pour prévenir les crimes et lutter contre l’impunité.
Avant la fin de la guerre, les Alliés décident qu’il faut juger les criminels. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des procès internationaux sont organisés, l’un à Nuremberg (1945-1946), l’autre à Tokyo (1946-1948).
Au début des années 1960, la construction européenne est en route et l’Europe est en paix. Beaucoup d’anciens criminels de guerre, jugés ou non, se sont fondus dans la masse ; les traces de leurs actes s’effacent. Les familles des victimes et leurs associations ne veulent pas qu’une page se tourne sans que les déportations, les souffrances subies dans les camps et le génocide soient reconnus et les criminels poursuivis, jugés et punis.
L’ancien chef de la Gestapo qui ordonna la rafle d’Izieu, Klaus Barbie, est arrêté le 5 février 1983 à l’issue d’une traque de plus de dix ans menée par les époux Klarsfeld. Il est jugé à Lyon en 1987.
La sentence rendue le 4 juillet 1987 est la première peine pour crime contre l’humanité prononcée en France.


La mémoire et sa construction

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Colonie d’Izieu, été 1943

Le « Musée mémorial des enfants d’Izieu », comme le Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon, est né des suites du procès de Klaus Barbie à Lyon.
Dans les villages d’Izieu et de Brégnier-Cordon, depuis 1946, la mémoire de la colonie est restée vivante. La paix revenue, soutenue par les autorités locales, Sabine Zlatin s’active pour faire inscrire la mémoire de la rafle sur le lieu même où elle s’est déroulée. Dès 1946, des commémorations se déroulent à Izieu et Brégnier-Cordon. Mais c’est une volonté politique, au plus haut niveau, qui a permis la création du mémorial.
Depuis son inauguration le 24 avril 1994 et jusqu’à la fin des années 2000, le mémorial d’Izieu a été le premier, et le seul lieu en France, dédié à la mémoire de la déportation et de l’extermination des enfants juifs. La mémoire de la Shoah s’exprime à partir des années 1970 par la voix des victimes ou de leurs descendants, par les associations et les parties civiles des procès, mais les monuments et les lieux dans lesquels elle s’incarne sont beaucoup plus tardifs.
Partout, en France comme ailleurs en Europe, la construction de la mémoire suit des chemins plus ou moins longs et complexes, intimement liés aux contextes politiques nationaux.



Mot a comprendre

Home d'enfant : centre d'accueil, pension pour enfants

À lire sur le sujet

La colonie des enfants d'Izieu 1943-1944, K. Houzé, J-C Bailly

Dans la tourmente de la Shoah - Les enfants d'Izieu,P-J Biscarat

L'engagement résistant dans l'Ain, D. Cano (dir.)

L'Ain 1939-1945 Chemins de mémoire, F. Saint-Cyr Gherardi, N. Le Baut, J. Dupasquier, P.-J. Biscarat, C. Defillon