Pisé et torchis

Les prises de conscience sur l'évolution du climat, la nécessité d'une meilleure gestion des ressources, l'éco-responsabilité de chacun autorisent l'espoir d'un nouvel usage de la terre crue. Matière première abondante et recyclable, elle participe à la construction de nos habitats et de nos paysages depuis toujours.

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Corps de ferme à Bény

Le pisé en Auvergne-Rhône-Alpes

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Bâtiments de ferme à Lurcy

Le pisé est une technique ancienne de construction, remontant au moins à la période antique, et qui perdure jusqu'au milieu du 20e siècle avant d'être supplantée par l'usage du béton et du parpaing de moellon. Ce mode constructif est très présent dans notre environnement, en milieu rural comme urbain. En région Auvergne-Rhône-Alpes, près de 70 % du bâti ancien des zones concernées est en terre : plaine de la Limagne près de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), plaine du Forez au nord de Saint-Etienne (Loire), une partie du Bourbonnais (Allier), la région lyonnaise et ses environs avec le val de Saône, la Dombes, la Bresse savoyarde, la plaine de l'Ain et les vallées de l'Isère (nord Isère jusqu'à Grenoble). La matière première facilement accessible se trouve sous la couche végétale et se compose de grains de différentes tailles ce qui en fait son atout : cailloux, graviers, sables, silts, argiles.


Les soutiens lyonnais du pisé

Le pisé est visible sur le mur pignon de la maison (jpg - 2109 Ko)

Maison de ville à Saint-Maurice-de-Beynost

La majorité des bâtiments en pisé apparaît entre la fin du 18e siècle et le début du 20e siècle, ce qui est le cas dans l'Ain. Deux exceptions notables sont localisées dans le département de la Loire : la salle héraldique de la Diana à Montbrison datant du 13e siècle et la Bâtie d'Urfé, petit joyau d'époque Renaissance.

Dans la seconde moitié du 18e siècle, de nombreuses enquêtes sont menées par des agronomes ou des architectes lyonnais. Le premier à se pencher sur la question est Georges-Claude Goiffon qui publie en 1772 L'art du maçon piseur. Il met en avant les avantages d'économie, de durabilité, d'isolation thermique et de salubrité. Autre point fort : le pisé démoli est "une merveille dans les vignes et dans les terres à froment" comme engrais. François Cointeraux crée une école d'architecture rurale afin de promouvoir un "nouveau pisay". Par la publication de deux cahiers en 1790 et 1791, il en diffuse partout en Europe les avantages. Il est considéré comme le spécialiste consacré de la construction en pisé. Jean-Baptiste Rondelet, dans son Traité théorique et pratique de l'art de bâtir (1840), reprend les études précédentes en y ajoutant son expérience pratique, étant lui-même fils de maçon. François Coignet, industriel lyonnais et pionnier du béton armé, s'appuie sur cette technique pour élaborer son premier béton qu'il appelle "béton-pisé". Très présente en milieu rural, l'utilisation de la terre est aussi visible dans la construction de nombreux immeubles lyonnais de quatre à cinq étages, comme dans le quartier de la Croix Rousse, datant pour la plupart du 19e siècle. Une méfiance s'installe suite à la forte crue du Rhône de 1856 entraînant la destruction en une journée de la majeure partie des habitations de sa rive gauche. Il s'ensuit une interdiction de construire en pisé sur toute l'agglomération lyonnaise et Villeurbanne. L'assouplissement de cette mesure arrive un peu tard en 1872 au moment où le béton prend une place grandissante.


Les atouts du pisé et la méthode constructive

Schéma de construction (jpg - 47 Ko)

Schéma de construction

Pourquoi construire en terre crue ? La matière première est immédiatement disponible sur le lieu de construction, sans transport et facile à extraire. Elle est recyclable.

Sa mise en œuvre nécessite toutefois un savoir-faire et de la main d’œuvre. Deux types de personnels participent au chantier : les professionnels et les bénévoles. Cinq à neuf personnes peuvent être mobilisées. Le propriétaire avec sa famille et ses voisins extraient la terre, cassent les mottes (la frassent), apportent les paniers ou sacs de terre. Le charpentier-piseur et ses aides installent les coffrages, répartissent la terre et la dament au pisoir.
Les plans de construction sont souvent rectangulaires, la technique du pisé permettant de construire des murs porteurs en terre crue. Les murs de refend peuvent aussi être bâtis avec cette méthode. Un soubassement en pierre, carron ou galet, matériau choisi selon les secteurs, son abondance et les moyens financiers des futurs habitants, est indispensable car il joue le rôle d’isolant contre l’humidité du sol.

Les étapes sont les suivantes : le coffrage mis en place est rempli de la terre homogénéisée parfois mélangée à de la chaux. Dix centimètres de terre foisonnée donnent cinq à sept centimètres de terre compactée. Elle est suffisamment tassée quand le pisoir ne la marque plus et sonne clair. Le coffrage est ensuite déplacé horizontalement pour faire un tour complet. À savoir que ses faces latérales, autrefois en orme ou châtaignier, sont les pièces les plus lourdes du chantier, environ 60 kg pour des panneaux de deux mètres. Au bout de douze ou quinze couches, le coffrage est rempli et la banchée est finie, pouvant mesurer 2,5 à 4 m de longueur pour 0,8 à 1 m de hauteur. Les cordons de chaux rythmant les murs sont réalisés lors du damage. Il est à noter qu’un mur de sept mètres de hauteur perd dix centimètres de largeur entre sa base et son sommet. La mise en œuvre a plutôt lieu au printemps à partir de la mi-avril. Le séchage étant assez long et devant être progressif, il faut éviter les étés très secs et les automnes pluvieux.

 


Quel avenir pour le pisé ?

Murs en pisé de la chapelle moderne du séminaire d'Ars-sur-Formans (jpg - 420 Ko)

Chapelle du séminaire d'Ars-sur-Formans

Aujourd’hui, de nombreux architectes réinvestissent la technique du pisé. Les questions environnementales, d’économie d’énergie et de développement durable, remettent en avant son utilisation dans les constructions. Malgré un abandon de plus d’un demi-siècle et une perte de savoir-faire, la terre crue revient au-devant de la scène en 1985 avec la réalisation d’habitats sociaux à Villefontaine (nord Isère). Des laboratoires de recherche ouvrent et se spécialisent dans ce mode constructif comme CRATerre de l’école d’architecture de Grenoble. Des formations de maçon se mettent en place et des bâtiments en pisé apparaissent au milieu de constructions contemporaines. En 2019, un immeuble de bureau d’une surface de 1 000 m² voit le jour dans un nouvel îlot du quartier Confluence (Lyon). Dans l’Ain, la chapelle du séminaire d’Ars-sur-Formans ou la salle des fêtes de Fareins sont autant d’exemples récents. Un amoureux de la terre crue, maçon de profession, a mené l’aventure réussie de construire un pigeonnier à Chaleins en appliquant les techniques anciennes. Le pisé est au cœur des problématiques actuelles grâce à l’abondance de la matière première, le confort thermique, la stabilité des réalisations et la facilité de recyclage de la terre.
Une abondante documentation est accessible sur le web, permettant d’approfondir le sujet, de diffuser les recherches en cours et de fédérer les acteurs soucieux de mettre en lumière l’architecture de terre crue notamment en Auvergne-Rhône-Alpes. L’Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble, le Service régional de l’inventaire Auvergne-Rhône-Alpes et l’association Patrimoine Aurhalpin s’associent en 2015 pour lancer un inventaire participatif de ce patrimoine dans la métropole lyonnaise. Dans l’Ain, un groupe de travail rassemble des architectes, des artisans, des professionnels du BTP et des bénévoles autour de la question du pisé aujourd’hui.


Un autre usage de la terre crue : le torchis

Structure d'un mur en torchis (jpg - 2556 Ko)

Ferme du Clou à Saint-Cyr-sur-Menthon

Le torchis est un mélange de terre et de liant tel que le chanvre ou la paille hachée. Ce matériau est surtout utilisé pour du remplissage. Dans les constructions à pans de bois, une armature est mise en place, le clayonnage. Il se compose de baguettes de chêne ou de châtaignier fichées dans l’ossature principale et d’un tressage d’aulne, de verne et de noisetier, des bois plutôt verts, faciles à déformer. L’exécution en elle-même est assez longue et difficile. Lorsque le torchis est appliqué à la main ou à la truelle, il est lissé et une fois séché, il est protégé par un badigeon à la chaux. Son usage se poursuit jusqu’au 19e siècle, moment où il est abandonné et remplacé par un remplissage en briques épaisses ou carrons, plus cher mais plus simple à mettre en œuvre. De nombreuses fermes bressannes ayant conservées leur structure à pans de bois sont autant d’exemples d’utilisation du torchis.


Consulter d'autres ressources sur le pisé



LES MOTS A COMPRENDRE

Pisé : technique de construction en terre crue.

Silt : matériau granulaire de taille comprise entre le sable et l'argile.

Pisoir : outil à long manche permettant de tasser la terre.

Mur de refend : mur porteur formant une séparation à l'intérieur d'un bâtiment. Il solidifie la construction et permet une meilleure répartition des charges.

Carron : brique épaisse et massive en terre cuite.

Banchée : correspond au remplissage complet du coffrage.

Liant : permet d'assurer la cohésion de la terre. 

Remplissage : comble les vides dans la construction. 

A LIRE SUR LE SUJET

Réhabiliter le pisé, vers des pratiques adaptées, Centre international de la construction en terre, Actes Sud - CRATerre, 2018. 

Pisé vivant, Collectif, CAPEB, 1996. 

Ouvrages en consultation au Centre de documentation - Service Patrimoine culturel

 

Architecture rurale en Bresse du 15e au 19e siècle, Ain, Jura, Saône et Loire, Diot Martine, Centre de recherche des monuments nationaux, 2005.

L'architecture de terre, bâtiments caractéristiques de la région Rhône-Alpes, Collectif, CAUE de l'Ain, 1983.