Un chef d'oeuvre de Delacroix à Nantua

Peint en 1836 par Eugène Delacroix (1798-1863), chef de file de l’école romantique française, le tableau, acquis par l’Etat, est déposé à l’église Saint-Michel de Nantua suite à la demande du député Girod de l’Ain. Œuvre représentative de la période de synthèse du peintre, elle demeure aujourd’hui un des fleurons du patrimoine nantuatien.

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Saint Sébastien soigné par Irène (détail de la servante)

Le voyage de Saint Sébastien

Mars 2018 : le grand tableau "saint Sébastien secouru par les saintes femmes" du célèbre peintre Eugène Delacroix quitte l'abbatiale Saint-Michel de Nantua, où il est habituellement conservé depuis sa création en 1836. L'oeuvre part rejoindre à Paris la prestigieuse exposition rétrospective réalisée par le Musée du Louvre. Quatre mois plus tard, la toile traversera l'Atlantique en avion pour être exposée au Metropolitan Museum of Art de New York. Voyage au terme duquel le tableau retrouvera sa place dans la nef de l'abbatiale, auréolé d'une nouvelle renommée outre-atlantique.


Ce film retrace les différentes étapes de ce parcours insolite, les coulisses de son transport, les métiers et savoir-faire spécifiques, nécessaires pour garantir la réussite d'une telle opération de transport d'oeuvre. L'occasion de redécouvrir ce tableau majeur de Delacroix, qui fait la fierté de la cité catholarde depuis plus de 150 ans.


"Le droit à la beauté"

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Saint-Sébastien soigné par Irène, huile sur toile, cadre bois doré, 1836

L'État achète pour 3000 francs au Salon de Paris de 1836, la seule toile présentée par Eugène Delacroix (1798-1863) cette année-là. Le tableau est envoyé en dépôt dans l'église Saint-Michel de Nantua à la demande du député Félix Girod de l'Ain, la ville ayant alors un projet de musée. Est-ce en raison de la nudité de l'épaule d'une des femmes, ou de celle de saint Sébastien, ou bien tout simplement pour achever de payer l’orgue, que la fabrique de l’église décide de le vendre en 1869 à un certain M. Brame pour 23 000 francs ? La vente qui fait grand bruit est finalement  annulée par la cour d’appel de Lyon au motif que « le tableau appartenant au domaine public de l’Etat est inaliénable », contraignant la fabrique à le racheter.

Le Louvre essaye ensuite à plusieurs reprises de se l'attribuer, prétextant les mauvaises conditions de conservation de l'église de Nantua. Lors de la présentation du tableau à l'Exposition universelle de 1900, le musée propose même de l'échanger contre un sévère Christ en croix de Philippe de Champaigne ; il se verra toujours opposer un franc refus de la part de la commune, qui n'a jamais voulu déparer l'église de son chef-d'œuvre, revendiquant aussi son « droit à la beauté ».


Un sujet religieux traité avec humanité

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Irène ôte délicatement les flèches de saint Sébastien (détail)

A l'heure du renouveau de la peinture religieuse qui répond à la nécessité de meubler les églises dépouillées à la Révolution et toutes celles édifiées au cours du 19e siècle, Delacroix respecte très précisément le sujet du martyre de saint Sébastien. Il y introduit cependant la marque du romantisme en s'éloignant des froides représentations académiques. Artiste cultivé, il n'a pu en effet ignorer le courant du catholicisme libéral et sa représentation d'une religion humanisée.

Saint Sébastien, originaire de Narbonne et élevé à Milan, sert comme soldat de Dioclétien à Rome, fonction évoquée par le casque et l'épée au premier plan. L'empereur le condamne à être percé de flèches lorsqu'il découvre qu'il est chrétien. Le peintre choisit de le représenter après son martyre, au pied de l'arbre auquel il était attaché, ce dont témoigne encore le lien à sa main droite.  Les bourreaux ayant accompli leur tâche s'éloignent par le chemin représenté en contrebas. Irène, veuve chrétienne vêtue d'un sombre drapé, lui ôte ses flèches avec délicatesse. Les yeux clos du saint et la position d'abandon de son corps s'opposent à l'expression attentive d’Irène. Une seconde femme aux épaules nues l’accompagne tenant un vase contenant du baume pour panser les plaies. Son regard, plongé dans l'ombre, se tourne avec crainte en direction des bourreaux, dans une attitude proche de la Médée furieuse que Delacroix expose au salon de 1838. Bien que les deux tableaux aient été présentés à deux ans d’intervalle, l’idée de leur composition a germé en même temps comme le montre des dessins préparatoires conservés au musée de Lille.

Loin de certaines représentations idéalisées qui ne laissent pas transparaître la souffrance, Delacroix exalte le sentiment de douleur par l’emploi de la couleur, le traitement des chairs par les glacis et la composition du tableau dans lequel le regard est conduit à l'endroit précis de l'épaule du saint.


Un tableau encensé par la critique

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Le casque et l'épée de Sébastien, soldat romain (détail)

« Lui seul, peut-être, dans notre siècle incrédule, a conçu des tableaux de religion qui n'étaient ni vides et froids comme des œuvres de concours. Le Christ aux oliviers, le Saint Sébastien, avaient déjà témoigné de la gravité et de la sincérité profonde dont il sait les empreindre. » C'est ainsi que Baudelaire évoque le tableau de Delacroix représentant Saint Sébastien soigné par Irène exposé au Salon de 1846, dix ans après sa première exposition en 1836. Il vante ici l'expression des sentiments qui émanent de l’œuvre, au-delà de son sujet religieux, et qui la rattachent au romantisme qui « n'est précisément ni dans le choix des sujets, ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir ».

« Chef de l'école moderne » selon Baudelaire,  Delacroix n'en oublie pas pour autant la tradition, où il puise des références. Le Saint Sébastien renvoie à la couleur du Titien pour Gustave Planche dans la Chronique de Paris (1836), au dessin de Raphaël et à l'école vénitienne pour Thoré Burger dans Le Siècle (1837). Au 20e siècle, les historiens de l'art sont allés encore plus loin en évoquant des œuvres de Michel-Ange, ou de Rubens pour la position des jambes du saint, au raccourci osé.


L'oeuvre s'expose dans le monde

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Les bourreaux s'éloignent (détail)

Œuvre majeure du peintre, classée au titre des Monuments Historiques depuis le 15 octobre 1903, elle se déplace pour des expositions prestigieuses en France et dans le monde entier.

  • Centenaire de la mort d'Eugène Delacroix, Musée du Louvre, Paris, 1963
  • Eugène Delacroix, Kunsthaus, Zürich, 1987
  • Delacroix et le romantisme français, Tokyo, 1989
  • Trésors de l'Ain. Objets d’art du Moyen Age au 20e siècle, Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse, 2011
  • Delacroix. De l'idée à l'expression (1798-1863), Caixaforum à Madrid et à Barcelone, 2012
  • L’œil de Beaudelaire, Musée de la vie romantique, Paris, 20 septembre 2016- 29 janvier 2017
  • Rétrospective de l'oeuvre de Delacroix, Musée du Louvre, Paris 26 mars - 23 juillet 2018
    puis Metropolitan Museum, New-York, 12 septembre 2018 - 6 janvier 2019.


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Plan et itinéraire

Visite libre et gratuite. Eglise ouverte tous les jours de 8h30 à 19h, sauf le dimanche matin.

Visite commentée pour les groupes : se renseigner

auprès de l'Office de Tourisme Haut-Bugey

Espace Trois Lacs

14, rue du Docteur Mercier

01130 Nantua

Tél. : 04.74.12.11.57

Les mots à comprendre

La fabrique : ensemble des administrateurs désignés au sein de la communauté paroissiale pour assurer la collecte et l'administration des fonds nécessaires à la construction, puis l'entretien d'une église catholique et de son mobilier. La fabrique est supprimée par la loi de séparation des Eglises et de l'État en 1905.

A voir aussi dans ce site

Edition à découvrir

Trésors de l’Ain. Objets d’art du Moyen Age au 20e siècle, catalogue de l’exposition 2011, Monastère royal de Brou, Bourg-en-Bresse

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A lire sur le sujet

Delacroix. De l’idée à l’expression (1798-1863), catalogue de l’exposition 2011-2012 à Madrid et Barcelone
Ouvrage en consultation au centre de documentation - Service ressources patrimoniales et culturelles

Delacroix et le romantisme français, Tokyo, catalogue, Jacques Thuillier, 1989