Pierre-Châtel à Virignin

A Virignin, la chartreuse de Pierre-Châtel surplombe le défilé du Rhône. Véritable nid d'aigle perché sur un énorme bloc calcaire dominant la rive droite du fleuve, elle témoigne fièrement de plus de six siècles d'histoire militaire et de vie cartusienne mêlées.

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Pierre-Châtel, fort et monastère

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Carte postale ancienne du site de Pierre-Châtel

Le château fort de Pierre-Châtel est édifié par la Maison de Savoie dans un lieu stratégique occupé tout d’abord par un oppidum gaulois, puis une forteresse romaine. Par décision testamentaire du comte Amédée VI, un monastère est fondé en 1383 pour une quinzaine de chartreux à l’emplacement de cette ancienne place forte.

La chartreuse devient un haut-lieu à la fois d’idéal chevaleresque et de spiritualité. Le testament du fondateur précise que les moines « prieraient Dieu et célébreraient tous les jours des messes pour le salut de son âme, de ses prédécesseurs et de ceux qui étaient et seraient chevaliers de son ordre du collier ».  Les liens entre les chartreux et les chevaliers se confirment  chaque année au fil des décennies avec la tenue régulière de leurs chapitres à Pierre-Châtel. Le traité de Lyon de 1601, épilogue de longues années de conflit entre France et Savoie, met fin à la présence des chevaliers par l’attribution de la rive droite du Rhône où est bâtie la chartreuse, au royaume de France victorieux.

Jusqu’à la période révolutionnaire, les moines vont vivre leur foi tout en côtoyant la garnison militaire placée sous les ordres du prieur. « La chartreuse est le fort, et le fort la chartreuse, sans qu’on puisse les séparer » selon la formule de Dom Innocent le Masson, général des Chartreux, en 1676.

Après le départ des religieux en 1792, le couvent devient caserne, l’église magasin de paille. La chartreuse n’est pas vendue comme bien national comme beaucoup d’autres, mais transformée en dépôt de condamnés à la déportation, puis à partir de 1807 en prison d’état. Suite au rattachement de la Savoie à la France en 1860, la citadelle perdra progressivement son rôle de place frontière.

Fort les Bancs à Virignin


Un site original

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Chartreuse de Pierre-Châtel - galerie du grand cloître

Le plan de la chartreuse a dû non seulement être adapté à la configuration du terrain, mais aussi aux contraintes liées à l’existence du château fort. Celui-ci est tourné vers l’est, la chartreuse vers l’ouest afin de conserver une certaine indépendance et préserver la règle de clôture des chartreux. L’isolement du grand cloître à l’extrémité du rocher fortifié permettait aux moines de s’adonner à la méditation solitaire au cœur de leur vocation.
La première pierre de la chapelle est posée en octobre 1393 en présence, selon le chanoine Louis Alloing, de toute la cour de Savoie et de près de 1300 invités venus avec quelque 700 chevaux...  Dix années seront nécessaires à la construction de la chartreuse. L’hôtellerie avec la galerie des frères est établie dans les bâtiments de l’ancien château des comtes de Savoie et fait face à l’église de dimensions importantes, voûtée sur croisées d’ogives et dotées de hautes fenêtres. Sa construction se termine à la fin du 14e siècle, puis ce sera le grand cloître, et l’appartement du prieur proche de l’église.
En 1645, Louis XIII confirme l’autorité du seul prieur comme gouverneur ayant sous ses ordres une petite garnison. Les chartreux ainsi soutenus entament au 17e siècle une importante campagne de reconstruction.
Du  château médiéval, il ne reste que peu de traces aujourd’hui. La belle ordonnance symétrique des cellules qui entouraient le grand cloître a disparu aussi avec les travaux militaires du début du 19e siècle : seules deux subsistent. La chartreuse demeure néanmoins un superbe ensemble, témoin privilégié de l’histoire de l’Ain.
Propriété privée de la même famille depuis 1932, une belle entreprise de restauration s’y poursuit régulièrement. L’ensemble des bâtiments est classé au titre des monuments historiques depuis 1996. L’édifice est rarement ouvert à la visite.


L'ordre chevaleresque du Collier de l'Annonciade

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Treffort - Façade de l'église - Armoiries d'Emmanuel-Philibert de Savoie, milieu du 16e siècle

Lorsqu’Amédée VI fonde l’ordre du Collier, il affirme sa volonté de rassembler les chefs des plus hauts lignages sous son autorité. Ensuite les liens spirituels et matériels avec les chartreux s’intensifieront.
Chaque chevalier se doit d’être un personnage d’exception, à la conduite irréprochable. Le nombre de quinze chevaliers issus de l’élite locale, égal au quinze chartreux, rappelle les quinze mystères du Rosaire. Le jour de son intronisation, le nouveau chevalier vêtu d’une robe blanche semblable à celle des chartreux, offre un calice, une chasuble et les ornements nécessaires pour la célébration des messes.  A l’occasion de ses funérailles, son collier avec sa bannière et ses armes sont remis à la chartreuse pour les déposer dans l’église à sa mémoire ; les chevaliers assistent à la cérémonie en habit de chartreux dont ils font don ensuite aux moines.
Le collier porté autour du cou était en vermeil et composé de quinze nœuds, en souvenir des quinze joies de la Vierge. Amédée VII, fils du fondateur, y ajoute les lettres FERT. En 1518, le duc Charles III place dans le collier une représentation de l’Annonciation, à l’origine du nom de l’ordre de l’Annonciade.



Les mots à comprendre

Oppidum : site fortifié de la fin de l'époque gauloise (IIe-Ier siècle avant notre ère). Il est généralement installé sur un site bénéficiant de défenses naturelles (colline, méandre de rivière, presqu'île) et constitue un centre politique, économique et parfois religieux.

FERT : cette devise a été très diversement expliquée. On en a fait tantôt un acronyme de Foedere et religione tenemur "nous sommes tenus (ou réunis) par la paix (ou l'alliance) et la religion", ou de Fortitudo ejus Rhodum tenuit, "son courage a permis de garder Rhodes", tantôt un mot à part entier : fert, 3e personne du singulier du verbe latin ferre, porter. Les historiens modernes penchent plutôt pour cette interprétation pensant qu'au 14e siècle, quand apparaît cette devise, on n'avait pas l'habitude de faire des acronymes ; ils divergent néanmoins sur son sens ("il porte" : se rapportant au chevalier qui porte le collier, ou "elle porte", à la Vierge portant l'Enfant dès l'Annonciation)

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Ailleurs sur le web

En savoir plus sur le sujet

Pierre-Châtel, haut lieu de l'histoire, Louis Trénard. Revue Le Bugey, 71, 1984

La chartreuse forteresse de Pierre-Châtel, Achille Récamier. Bulletin de la société des naturalistes de l'Ain, Bourg-en-Bresse, de 1946 à 1958.

Les fonds d'archives des chartreuses sont conservés pour partie aux Archives départementales de l'Ain (série H)

Chartreuses de l'Ain, ouvrage sous la direction de Paul Cattin, collection Patrimoines des Pays de l'Ain, 2011
Ouvrage en consultation au
Centre de documentation - Service Patrimoine culturel