De l’asile clos au parc public

Le site de la Madeleine à Bourg-en-Bresse est un asile pour femmes de 1826 à 1937 puis, un hôpital psychothérapique jusqu’aux années 2000. Aujourd’hui c'est un parc public ouvert à tous les Burgiens et autres passants. Découvrez l’évolution du site de la Madeleine.

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Le parc de la Madeleine, vue sur le kiosque et la bâtiment Saint-Antoine

L’origine du site : l’asile d’aliénées

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Atlas général des alignements de 1875, feuille 16, Sainte-Madeleine

Au Moyen Âge, un comportement "anormal" s’expliquait par la folie ou la démence, mais rarement par la maladie. Jusqu’à la fin du 19e siècle, les personnes atteintes d’aliénation mentale étaient systématiquement enfermées à l’écart de la population, car considérées comme coupables et non victimes. À Bourg-en-Bresse, les aliénés ont pu être internés sur plusieurs sites qui ont évolué au fil des siècles : dans les sous-sols de l’hôpital Sainte-Marie (rue d’Espagne), dans la tour des Champs de la prison de Bourg (près de l’église Notre-Dame), dans l’hôtel-Dieu ou dans un dépôt de mendicité. C’est en 1824 que des asiles dédiés uniquement aux aliénés s’ouvrent à Bourg : Sainte-Madeleine pour les femmes et le clos des Lazaristes pour les hommes, derrière le couvent des Capucins, non loin de l’établissement des femmes. En 1855, l’asile pour hommes est déplacé sur la propriété de Cuègre sur les communes de Bourg et Viriat (à l’emplacement de l’actuel CPA). Il est finalement reconnu par le préfet en 1861 et devient l’asile Saint-Georges.

Ce sont les ordres religieux, connus pour leur charité, qui sont sollicités pour tenir ces établissements. En 1826, le préfet de l’Ain confie l’asile Sainte-Madeleine à Mère Saint-Benoît et sa congrégation des sœurs de Saint-Joseph, qui avait déjà fait preuve de dévouement au dépôt de mendicité de Brou. D’ailleurs, le nom de sainte Madeleine, est donné car les sœurs doivent prendre exemple sur elle : servir le Christ en aidant son prochain. À l’ouverture de l’asile, elles sont une dizaine pour 70 pensionnaires.


À cette époque, le site de la Madeleine est éloigné de la ville et entouré par le chemin de ronde, la promenade du Mail, des jardins clos et des champs. Dès 1828, la Mère supérieure entreprend les premières constructions : loges, première chapelle ou encore agrandissements de bâtiments. Ces aménagements rendent l’asile plus fonctionnel. La loi du 30 juin 1838 est promulguée : « chaque département est tenu d’avoir un établissement public, spécialement destiné à recevoir et soigner les aliénés, ou de traiter, à cet effet, avec un établissement public ou privé, soit de ce département, soit d’un autre département ». Ainsi, l’asile privé de la Madeleine fait désormais fonction d’asile public. Des traités sont passés avec le Département de l’Ain ainsi qu’avec celui de Saône-et-Loire qui y transférerons leurs malades.


Un besoin constant d’agrandir

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Le "Château" Sainte-Marie et son jardin

Les malades qui arrivent à Sainte-Madeleine sont de plus en plus nombreuses et ont des profils différents. Construire de nouveaux bâtiments devient donc indispensable, non seulement pour accroitre le nombre de lits, mais également pour faciliter l’organisation de l’asile. Lorsque les sœurs s’y installent, elles rachètent les constructions qui se trouvaient à l’emplacement de l’actuelle cité judiciaire. Puis, le bâtiment Saint-Joseph sur l’avenue Alsace-Lorraine sort de terre en 1848. En 1858, la congrégation acquiert les terres dites du Mail (l’avenue du Mail correspond à l’avenue de la Victoire aujourd’hui) pour y construire Saint-Raphaël vers 1868 et Sainte-Anne, inauguré en 1875.

Toujours dans l'optique d'agrandir mais également de créer des espaces distincts entre les aliénées du régime commun et les pensionnaires fortunées, la congrégation achète en 1869 le terrain dit du fond du jardin, sur lequel est construit le pensionnat Sainte-Marie, aussi appelé le "Château". Il ouvre ses portes aux malades de la classe haute le 1e janvier 1879. Puis, ce sont Sainte-Thérèse (en 1883/1884) et Saint-Antoine (1898) qui sont construits au sud du parc. Les constructions se font dans une logique de séparation et de répartition des internées selon leur degré d’autonomie, leur comportement mais aussi leurs profils sociaux. Cette compartimentation s’effectue à l’extérieur comme à l’intérieur des bâtiments où des espaces sont dédiés à chaque catégorie.

L’achat des terres du fond du jardin sera le dernier effectué par la congrégation. La superficie du site à cette époque est semblable à celle d’aujourd’hui. La parcelle est bornée par un mur d’enceinte et est délimitée par les avenues Pierre Semard, de la Victoire, Alsace-Lorraine, par le boulevard Paul Bert et une venelle privative.


Une vie quotidienne organisée par les sœurs

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Les jardins vivriers bordés par des arbres fruitiers

Au temps de l’asile et des sœurs, la vie s’organise autour du travail et de la prière. Dès l’aube, les sœurs et les patientes s’activent : travaux de couture et de blanchisserie, confection d’objets en paille, cuisine, ménage, etc.

À l’extérieur, l’énorme jardin vivrier demande beaucoup d’attention. Les religieuses confient alors les travaux de culture et d’entretien des chevaux, vaches et autres animaux de basse-cour aux aliénées de la campagne, habituées à ce genre de travaux. À l’époque des moissons, les femmes sont conduites sur les terres agricoles de l’asile Saint-Georges pour faner le foin et récolter les pommes de terre et haricots.

Au "Château" Sainte-Marie, la vie quotidienne des patientes aisées est toute autre. Elles bénéficient de chambres individuelles, de repas plus copieux et sont dispensées de travailler. Pour se distraire, elles peuvent se promener dans le parc, se baigner dans les bassins du "Château", jouer aux cartes ou aux dominos ou encore se retrouver dans les salons autour d’un piano ou d’un billard.


Un hôpital qui s’humanise

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L'entrée du centre psychothérapique tenu par l'ORSAC, en 1999

À la fin du 19e siècle, l’anticléricalisme gagne la société : la loi de séparation de l’Église et de l’État, qui entre en vigueur en 1905, accélère l’arrivée de personnel laïque (médecins et formateurs) à l’hôpital. Dans un premier temps, les médecins peinent à assoir leur autorité face aux sœurs et n’ont pas assez de matériel et d’infirmiers pour assurer de bons soins. L’arrivée des neuroleptiques, des antidépresseurs et le développement de la psychanalyse vont leur permettre de s’imposer. En 1937, le mot asile disparait pour laisser place à l’hôpital psychiatrique. Les sœurs sont formées au métier d’infirmières et des étudiants secondent les médecins.

Le 15 mars 1960, une circulaire du ministère de la Santé publique recommande de réorganiser le domaine de la psychiatrie en rassemblant l’ensemble des malades, hommes et femmes, sur un seul secteur géographique dirigé par une même équipe médico-sociale. Cette dernière restera sans impact pendant une dizaine d’années. En 1972, les religieuses se retirent et cèdent l’établissement à l’Organisation pour la santé et l’accueil (ORSAC). Avant leur départ, elles s’assurent que le statut privé et à but non lucratif des établissements soit maintenu. En contrepartie, les sœurs qui ont travaillé à l’hôpital reçoivent, pendant 25 ans, une rente pour assurer leur retraite.

Pour suivre les préconisations du ministère de la Santé, Sainte-Madeleine et Saint-Georges sont finalement réunis, le 1er janvier 1972 le Centre psychothérapique de l’Ain (CPA) nait de cette fusion. Désormais, le suivi des patients change et se rapproche de l’humain. La vie quotidienne des malades est rythmée par les soins, les temps de repos, les visites des familles et divers ateliers. L’arrivée de l’ergothérapie dans les hôpitaux s’accompagne de nouvelles activités thérapeutiques comme la sculpture, la peinture, la poterie et de nombreuses activités sportives (randonnée, vélo, ski, etc.). De plus, grâce aux médicaments, certains malades peuvent sortir ou travailler.

En estompant les traces de l’ancien asile, l’hôpital s’humanise aussi dans son architecture. De gros travaux de rénovations sont effectués dans les années 1970/1980. À l’intérieur, les immenses dortoirs deviennent des chambres avec sanitaires individuels. Les parties communes sont plus accueillantes et les zones de soins sont améliorées. Les noms de saints désignant les bâtiments sont gommés et laissent place à des appellations fleuries et bucoliques : les Cigales, la Roseraie, les Tilleuls, etc.


Le site de la Madeleine aujourd'hui

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Vue aérienne au drone du parc de la Madeleine

En 2000, le CPA est définitivement transféré à l’hôpital Saint-Georges et quitte le site de la Madeleine, laissant derrière lui ses bâtiments comme témoins de ce passé asilaire. Ces constructions, effectuées tout au long du 19e siècle, sont reconnaissable par leur maçonnerie en pierre dorée. Deux bâtiments du 20e siècle se démarquent de cet ensemble : la chapelle Sainte-Madeleine, chef d’œuvre de l’Art déco, et le "bâtiment 13", à vocation administratif, se trouvant en face du "Château". Principalement en béton, ces derniers sont respectivement signés de l’architecte Georges Curtelin et de son fils, Charles Curtelin.

Tous les édifices, à l’exception du bâtiment 13, ont été construits en périphérie du parc, dégageant ainsi un vaste espace de verdure. Ce dernier est composé de plusieurs entités paysagères. À l’est, les chemins tracent la division en carrés des jardins vivriers. Dans les années 1950, les plantations et les arbres fruitiers disparaissent et laissent place à un jardin d’agrément. Au centre, le kiosque d’inspiration renaissance, est toujours présent, entouré d’un bosquet de hêtres pourpres. En face de Saint-Raphaël, une imposante allée de platane se dessine. Elle comporte en son centre une rotonde où a été installée en 1870 une statue de Notre-Dame de la Salette. Cet élément paysager marque aujourd’hui une frontière avec le reste du parc qui n’est pas accessible au public : l’aire administrative. Les bâtiments qui s’y trouvent, Saint-Raphaël, Sainte-Anne, le bâtiment 13 et le "Château" Sainte-Marie, accueillent aujourd’hui des services du Département de l’Ain. Dans cette zone, l’enrobé et les voitures ont pris le dessus sur la verdure. Pour la retrouver, il faut aller à l’ouest, autour du "Château", où se trouve un jardin romantique à l’anglaise avec des arbres majestueux comme un cèdre centenaire. Dans ce paysage, la congrégation fait reproduire en 1883 une grotte de Lourdes à l’arrière du pavillon, pour les malades qui ne peuvent pas s'y rendre. Elle n’existe plus aujourd’hui.

Ce parc est amené à évoluer au cours des prochaines années. Le bâtiment Saint-Joseph à l’est, sera remplacé par une nouvelle construction. Des réhabilitations sont également prévues dans certains bâtiments, ce qui permettra de redynamiser les lieux. Aujourd’hui, cet îlot de verdure au cœur de la Ville de Bourg-en-Bresse attend patiemment d’être redécouvert par ses habitants.


Consulter d'autres ressources sur le site de la Madeleine



LES MOTS À COMPRENDRE

Aliénation mentale : affection mentale instable qui provoque un retrait psychique de la personne atteinte vis-à-vis du monde qui l'entoure; celle-ci se retrouve coupée du monde extérieur.

Hôtel-Dieuhôpital de fondation ancienne dans certaines villes, qui recevait les orphelins, indigents et pèlerins et qui était administré par l'Église.

Dépôt de mendicité : établissement public dans lequel on loge et on nourrit des pauvres.

Le Mail : une allée généralement bordée d'arbres. L'origine de ce terme vient du jeu de mail, l'ancêtre du golf et du croquet. Très pratiqué au Moyen Âge, il consistait à pousser une boule de bois grâce à un maillet de bois. 

Jardin vivrier : culture dont les produits sont destinés à l'alimentation humaine.

Rente : somme d'argent qu'une personne est tenue de donner périodiquement à une autre.

Ergothérapie : traitement de rééducation et de réadaptation pour aider des personnes en situation de handicap à préserver leur autonomie.

Jardin d'agrément : un jardin d'ornement, ordonné par l'homme. Il est planté pour le plaisir.

À LIRE SUR LE SUJET

Saint-Georges et Sainte-Madeleine, de l'asile à l'hôpital, Agnès BUREAU, Musnier-Gilbert, Bourg-en-Bresse, 1998

Histoire des Sœurs de sainte Madeleine, Monsieur le Chanoine BEAU, 1950

Etude patrimoniale et de programmation urbaine du site de la Madeleine, Initial Consultants, In Situ paysages et urbanisme, Bruno MOREL, Dicobat, Bourg-en-Bresse, 2016

De l’asile à l’hôpital éclaté, deux siècles d’assistance psychiatrique dans l’Ain, Gérald PONTHUS, D.E.A. d’Histoire moderne et contemporaine, sous la direction de Olivier FAURE, 1997

Ouvrages en consultation au 
Centre de documentation - Service Patrimoine culturel