Le Rhône des écrivains
Le Rhône est un cours d'eau charrieur d'images. « Fleuve-dieu » pour certains, « fleuve-roi », pour d'autres. Pour Bernard Clavel, il est une « force vitale » qui a trouvé dans ses mariniers les « seigneurs du fleuve ». Le fleuve est la source d'inspiration de nombreux écrivains et poètes qui l'évoquèrent.
Alexandre Dumas à la source du Rhône
« Nous marchâmes deux heures à peu près, suivant toujours les bords escarpés du Rhône qui, de fleuve, était devenu torrent, et de torrent devint bientôt ruisseau, mais ruisseau capricieux et fantasque, annonçant dès sa source tous les écarts de son cours, comme les bizarreries d’un enfant annoncent à l’aurore de sa vie les passions de l’homme. Enfin, au détour d’un sentier, nous aperçûmes devant nous, remplissant tout l’espace compris entre le Grimsel et la Furca, le magnifique géant de glace, la tête posée sur la montagne, les pieds pendant dans la vallée, et laissant échapper, comme la sueur de ses flancs, trois ruisseaux qui, se réunissant à une certaine distance, prennent, dès leur jonction, le nom de Rhône. »
Impressions de voyage - En Suisse (1833-1834), Alexandre Dumas, chap. XXVIII. p. 408, Ed. Le Joyeux Roger 2007
Victor Hugo sur le pont de Lucey
« Vous souvenez-vous, mon ami, du Rhône à la Valserine ? Nous l’avons vu ensemble en 1825, dans ce doux voyage de Suisse qui est un des souvenirs lumineux de ma vie. Nous avions alors vingt ans ! Vous rappelez-vous avec quel cri de rage, avec quel rugissement féroce le Rhône se précipitait dans le gouffre, pendant que le frêle pont de bois tremblait sous nos pieds ? »
Lettres à un ami, Victor Hugo, Tome 1, lettres XIV,1842.
Alexandre Dumas et la perte du Rhône
« C’est au milieu de ce pont que l’on se trouve le mieux placé pour examiner le phénomène qui nous amenait. Le Rhône, qui accourt bouillonnant et profond, disparaît tout à coup dans les gerçures transversales d’un rocher pour reparaître cinquante pas plus loin : l’espace intermédiaire reste parfaitement à sec ; de sorte que le pont sur lequel nous nous trouvions est jeté, non pas sur le fleuve, mais sur le rocher qui couvre le fleuve. Ce qui se passe dans l’abîme où le Rhône se précipite, c’est ce qu’il est impossible de savoir : du bois, du liège, des chiens, des chats ont été jetés à l’endroit où il entre, et ont été attendus vainement à l’endroit où il sort ; le gouffre n’a jamais rien rendu de ce qu’il avait englouti. »
Impressions de voyage - En Suisse (1833-1834), Alexandre Dumas, chap. XXVIII. p. 409, Ed. Le Joyeux Roger 2007
Edgar Quinet décrit les pertes du Rhône
« Avez-vous vu dans mon pays la perte du Rhône ? Le fleuve qui descend du haut des Alpes arrive confiant et à pleins bords. Tout à coup, comme si l’embûche avait été tendue dès l’origine des choses, il disparaît. On le cherche sans le trouver : il s’est perdu dans le puits de l’abîme, il est enseveli dans les entrailles de la terre ; une couche prodigieuse de rochers amoncelés depuis les premiers jours le recouvre, et la pierre a été scellée sur lui, aux deux bords, par des bras de Titans. Maintenant, des rives de Savoie et de France, les troupeaux de chèvres, de vaches, de mulets, le traversent à pied sec et l’insultent ; la sonnerie de leurs clochettes couvre ses mugissements. Cependant, pour avoir disparu, le fleuve n’est pas tari ; son ancien génie vit encore ; il lutte dans les ténèbres, il mugit sous terre, il travaille dans le sépulcre, il use de sa poussière d’écume la roche éternelle. A la fin, il reparaît à quelques centaines de pas à la lumière, un peu calmé, plus bleu, plus majestueux, mais ni brisé ni dompté par cette épreuve. »
Philosophie de l’histoire de France, Edgar Quinet, Bruxelles, 1855
Les déclarations d’amour de Bernard Clavel au Rhône
Dans Je te cherche vieux Rhône (1984), album autobiographique consacré au Rhône, Bernard Clavel écrit : « Ce n’est pas uniquement dans le lit qu’ils se sont creusé que coulent les fleuves, c’est en nous. Tout au fond de nous, douloureusement. Merveilleusement. »
Il se souvient de la première fois, quand il est tombé amoureux du Rhône, « ce regard d’astre pure et d’eau flamboyante qui m’accompagnera jusqu’au delta boueux de mon ultime décize. »
A propos de son roman Le Seigneur du fleuve (1972), l’auteur s’interroge « J’ai été follement amoureux du Rhône. J’ai rêvé durant toute mon enfance de navigation et de bateaux. J’aime la vie dure, le travail manuel, le combat fraternel avec les éléments naturels. Écrivant cette histoire d’un homme amoureux de son fleuve et de son métier, n’est-ce pas avant tout un de mes rêves de toujours que j’ai tenté de vivre ? »
Dans Pirates du Rhône (1957), le fleuve qu'il aime lui inspire une définition de la beauté : « Pour moi, tu sais, ce qui est beau est beau. Il me suffit de savoir que c'est beau. Il n'y a pas besoin de mettre un prix dessus. Je regarde, je pense : c'est beau. Voilà. Tiens le fleuve, il est beau. Je le sais. Je le regarde tous les jours depuis que je suis né... »