Les émaux bressans
Exclusivement fabriqués à Bourg-en-Bresse (01), les émaux bressans se caractérisent par une plaque d’or ou d’argent guillochée servant de support à un émail monochrome opaque ou translucide. La surface est décorée de paillons d’or, dont un nommé « rosace centrale ». Parfois le pourtour est surligné de perles d’émail contenues dans des godets d’or.
Les maisons d’émailleurs bressans
Les maisons d’émailleurs bressans sont exclusivement concentrées au cœur de la ville de Bourg-en-Bresse. Les raisons et la période de l’implantation du savoir-faire restent hypothétiques. Savoir-faire, outillage et secrets de fabrication, parfois jalousement conservés, sont transmis au sein d’une famille d’artisans ou à leurs apprentis et ouvriers qui peuvent créer leur propre Maison.
De la seconde moitié du 19e siècle au premier quart du 20e siècle, les maisons de bijouterie-joaillerie-orfèvrerie Corsain-Guillot, Migonney, Garnier, Terrier côtoient celle de Bonnet-Fornet qui connaît la plus longue longévité et qui contribue au rayonnement international des émaux bressans.
À ce jour, Antoine Bonnet est le plus ancien émailleur identifié. Il débuterait son activité en tant qu’orfèvre en 1812. Il lègue son atelier à son fils Antonin Bonnet en 1850 lequel cède à son tour son activité à Amédée Fornet en 1870. Ce dernier a pour successeur son beau-frère Charles-Honoré Decourcelles, ayant lui-même pour successeur son fils Émile et son petit-fils Charles.
En 1974, c’est un des ouvriers, Robert Jacquemin, qui reprend l’activité. Il forme le seul émailleur bressan qui subsiste à ce jour, David Jeanvoine qui a relancé la production des émaux bressans en 1998 et qui forme d’autres émailleurs.
Secrets de fabrication
La fabrication des émaux bressans relevant de la technique de l’orfèvrerie et de la bijouterie, l’atelier d’un émailleur bressan est celui d’un bijoutier. L’établi en bois est composé d’un large plateau, d’une cheville usée par le coup de poignet propre à chaque émailleur-bijoutier et d’un large tablier de cuir servant à récupérer les particules de métaux précieux.
Des coups de maillet portés sur un poinçon à la forme choisie et au guillochage souhaité permettent d’obtenir le support découpé dans une feuille d’argent ou d’or posée sur une épaisse plaque de plomb.
Différentes étapes ponctuées par des phases de cuisson à environ 860° C suivent : le contre-émaillage au revers durcissant et protégeant le métal, l’application à l’aide d’une plume à encre de l’émail monochrome en surface, puis des différents éléments du décor, paillons et godets, perles, verroterie. Le bijoutier finalise le travail en montant l’émail sur une monture.
Les émaux bressans aux expositions universelles
Lieux de spectacle fréquentés par des millions de visiteurs venus du monde entier, événements de mise en lumière exceptionnels des identités régionales et nationales, les Expositions universelles donnent aux artisans, industriels et autres inventeurs la possibilité de promouvoir et de populariser leurs produits. Grâce à cette manifestation, les émaux bressans et leur lieu de production, la Bresse, rayonnent à échelle internationale au 19e siècle.
Au début des années 1860, dix ans après la première Exposition universelle organisée à Londres en 1851, Antonin Bonnet, puis son successeur, Amédée Fornet portent aux nues leurs créations. Dans des édicules à la devanture savamment agencée, ils exposent une production riche et variée comprenant bijoux, parures de bijoux, accessoires du vêtement, cadres photographiques, parures de bureau, plaques de dévotion... Certaines de ces pièces sont encore conservées et visibles au Domaine des Saveurs - Les Planons.
Ces petites boutiques influencent le regard des visiteurs, clients potentiels, et des jurys chargés d’attribuer les récompenses. Le Victoria and Albert Museum ou encore le shah d’Iran acquièrent des émaux bressans, tandis qu’Antonin Bonnet, Amédée Fornet et les frères Daude reçoivent de nombreuses récompenses (Vienne en 1873, Philadelphie en 1876, Barcelone en 1888, Paris en 1889...).
Émaux bressans et usages
Les usages, les types d’objets et les propriétaires d’émaux bressans sont nombreux et divers. En acquérant des objets, souvent achetés, commandés, offerts et portés lors d’occasions particulières, les propriétaires font valoir leur statut social, leur connaissance des goûts du jour, leur culture. En considérant ces valeurs, les émailleurs parviennent à se constituer une clientèle au profil varié.
Au tournant du 19e siècle, l’émail est au goût du jour, les émaux bressans sont à leur apogée tandis que leur facture de cette se caractérise par l’abondance de paillons et de perles d’émail.
Après la Grande Guerre, les ventes baissent suite à l’apparition des bijoux fantaisies qui, réalisés à partir de matériaux simples et peu coûteux, offrent des prix très abordables et plaisent pour leur qualité et leur diversité esthétique. La facture des émaux se modernise en se simplifiant, les paillons, moins nombreux, sont apposés de manière à sublimer le couleur et la vibrance de l’émail.
Les émaux bressans, bijoux régionaux et paysans
Le poète Gabriel Vicaire célèbre cet objet dans son recueil de poèmes intitulé Les Emaux bressans. Pour lui, les émaux bressans sont des bijoux propres à leur région et portés par les paysannes. La relative modestie du prix des émaux permet à des familles paysannes d’acquérir des objets et des bijoux en conséquence de leur richesse.
L’objet devient présent d’exception et son usage semble étroitement lié à l’ancrage et à la préservation de rites de passage eux-mêmes inhérents à des croyances religieuses et à des actes civils.
Une croix-pendentif est donnée lors d’une communion, le prétendant présente un collier d’esclavage à sa future fiancée, mères et filles se transmettent leurs biens. Ces rites donnent lieu à des fêtes qui constituent l’occasion de se parer de ses émaux.
Objet à la mode et apanage des catégories sociales aisées
Les émaux bressans sont aussi le privilège des catégories sociales aisées vivant quotidiennement en milieu urbain. Vinaigrettes, jumelles de théâtre, carnets de bal, châtelaines ou boutons de manchette en émaux bressans attestent de l’usage de ces derniers dans des réceptions fastueuses tenues dans la demeure privée ou dans les lieux publics comme le théâtre ou l’opéra où il convenait de se montrer, d’afficher sa culture, sa fortune, sa coquetterie pour les femmes, son élégance pour les hommes.
Dans ces lieux de représentation, les artistes telles qu’Anna Pavlova, la bourgeoisie locale et les élites princières deviennent des facteurs du rayonnement des émaux.
Émaux bressans religieux : liturgie et dévotion privée
L’émail est très exploité aux 19e et 20e siècles pour deux grandes catégories d’objets religieux : ceux employés pour la célébration du culte catholique (calices, ciboires, ostensoirs, croix épiscopales...) et ceux de dévotion (chapelets, bénitiers, statues de saints, scènes historiées peintes...).
Dans le contexte du néogothique réinterprétant le Moyen-Âge, la reconsidération pour les émaux religieux limousins ravive le goût pour l’émail. Amédée Fornet s’inscrit dans cette dynamique. Pour l’église Notre-Dame de Bourg-en-Bresse, il crée le réseau de filigrane d’or des couronnes des statues de la Vierge noire et de l’Enfant-Jésus et collabore avec l’orfèvre lyonnais Armand-Calliat pour la réalisation de l’autel majeur. Des croix pectorales portés par les évêques de Belley et le curé d’Ars, un reliquaire, des bénitiers et des plaques de dévotion aux formes singulières et ornées d’un décor de filigranes enchâssant des petites plaques émaillées bressanes sortent également des ateliers burgiens.