Fermes de Bresse

Selon une organisation ancienne adoptée quasi systématiquement en Bresse, l'exploitation agricole s’articule autour de trois types de bâtiments : le bâtiment d'habitation pour la vie domestique, la grange-remise et le fenil comme lieux de stockage et de production, et enfin les communs réservés au cheptel dans les étables ou « buges ». Le four, auquel s’ajoutent les soues et le poulailler, est volontairement tenu éloigné de l’habitat des hommes pour des raisons sanitaires et pour prévenir tout risque d’incendie.

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Domaine des Planons : dépendance accueillant le poulailler, le four et les soues à cochons.

Un habitat dispersé dans le bocage

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Ferme de Saint-Aubin à Béréziat

En Bresse s'est développé un habitat rural dispersé au coeur du bocage, tandis que les bourgs concentrent les structures administratives et lieux de sociabilité autour de l'église, la mairie et les cafés du village... Le choix de construire sur les points hauts a marqué la toponymie : Montrevel, Montjouvent, Montalibord en sont des exemples. Les paysans ont eu le souci d'éviter les zones humides et marécageuses nocives à la santé et peu propice à l'agriculture. 

La ferme traditionnelle est généralement composée d'un vaste bâtiment d'habitation, orienté nord-sud dans sa longueur avec la façade principale ouvrant à l'est. Un grand corps d'exploitation comprenant grange et fenil lui fait face, tandis qu'une annexe un peu à l'écart réunit poulailler, soue à cochons et four à pain. 

A la différence des maisons bourguignonnes, les constructions bressanes sont assez basses et allongées, dotées de toitures à faible pente couvertes de tuiles creuses, ou "tuiles canal". Les pignons sont étroits, percés de très petites ouvertures pour limiter la prise au froid et aux intempéries. Le nord est nommé côté "en bise" et le sud côté "de pluie".  


Utiliser les ressources locales

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Restauration de la ferme des Planons à Saint-Cyr-sur-Menthon. Façade nord : AVANT

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Restauration de la ferme des Planons à Saint-Cyr-sur-Menthon. Façade nord : APRES

L’architecture vernaculaire est intimement liée aux ressources du territoire, auxquelles s'ajoutent des facteurs culturels et historiques qui influencent la transmission des techniques et savoir-faire de construction. En Bresse, la pierre est absente du sous-sol. Mais les artisans bénéficient d'autres matériaux disponibles en abondance dans l'environnement immédiat des exploitations agricoles : bois de haute futaie pour les charpentes, haies arbustives pour le bois souple tressé en clayonnage, terre argileuse pour le torchis ou le pisé, galets pour les sols... Le travail est partagé entre les charpentiers professionnels pour le gros oeuvre et les fermiers qui assurent les finitions, notamment le remplissage de l'ossature à pans de bois. 

En 1808, le préfet Bossi résume ainsi le mode de construction bressan : "On élève les fondations au-dessus du sol jusqu'à 35 ou 40 centimètres. Sur ces murs, on construit le bâtiment en terre ou pizai (pisé). Les granges anciennes sont en bois, clayonnage et torchis. Cette nature de construction, quoiqu'assez solide quant à la charpente, est de peu de durée pour l'intervalle que laissent les bois. Elle garantit beaucoup moins des intempéries que la construction en terre. Cette dernière a encore l'avantage d'être moins coûteuse depuis la cherté du bois."

L'utilisation des bois d'oeuvre est encadrée par les règles de propriété et d'exploitation. Les baux de fermage, signés entre propriétaires et fermiers, stipulent quels prélèvements peuvent être faits sur les domaines fonciers. Presque toutes les fermes sont associées à des parcelles de feuillus de 2 à 3 hectares. On y prélève les bois de charpente et de plus petites sections pour élever l'ossature à pans de bois des maisons et dépendances.

Quant à la terre argileuse destinée à fabriquer le pisé ou le torchis, elle est prélevée directement sur le chantier. Les fosses d'extraction, remplies d'eau, deviendront des serves.


Savoir bâtir en terre : pisé et torchis

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Restauration de la ferme des Planons : façade comblée en boudins de torchis.

Le savoir-faire traditionnel s'est particulièrement exprimé en Bresse dans l'usage de la terre argileuse, présente en abondance et en qualité. Utilisée seule, ou mélangée à de la paille ou du crin, elle est appliquée en couches épaisses sur un clayonnage de branches (aulne, noisetier, verne, bourdaine) tressées pour remplir les trapans. La terre peut aussi être enroulée en boudins autour de grosses branches verticales.

La construction en pisé s'est répandue assez tardivement en Bresse, à partir du 18e siècle, le bois étant devenu rare et cher notamment en raison des prélévements effectués pour les besoins de la flotte royale. L'observation et l'expérience sont les maîtres mots des bâtisseurs, artisans et paysans improvisés maçons le temps d'un chantier. Manipuler la terre permet d'en évaluer la composition, la densité, la qualité, qui en fera une bonne terre à piser. Une fois extraite, elle est remuée puis laissée à reposer plusieurs jours avant d'être retournée. De son bon équilibre et de son aération préalable dépendra la solidité des bâtiments : une terre trop humide entraînera au séchage un risque de retrait, dit "coup de sabre". La terre doit être assez lisse et riche en silice. Si elle contient trop des graviers, elle est granuleuse et engendre des "nids d'abeille" dans les murs.

Pour sa mise en oeuvre, la terre est versée dans de grands coffrages en bois (les banches). Une fois enlevés, ces coffres laisseront des trous dans les murs (trous de clefs), utiles à la bonne ventilation des bâtiments. La terre est tassée avec les pieds et à l'aide d'un gros outil en bois : le pisou. Une fois décoffré, le pisé séche progressivement à l'air libre. Aucun enduit ni revêtement de surface ne doit venir le recouvrir : la terre doit bien respirer pour être durable et solide.


Traditions liées à la propriété et aux successions

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Chaume bressan

La présence de maisons simples et précaires, "construites en une nuit", est attestée en Bresse jusqu'au début du 20e siècle. Suivant cette tradition ancestrale, signalée dans d'autres régions françaises, il était admis que "quiconque bâtissait une maison sur une friche communale avait la jouissance des murs et du terrain attenant, à la condition qu'elle fut achevée en une nuit et qu'au matin la porte ferme et la cheminée fume". Ainsi, l'élévation en une nuit d'une petite maison suffisait pour conférer au constructeur le titre de propriétaire du sol utilisé. Le candidat devait préparer dans la discrétion ses matériaux et ses pièces de charpente pour pouvoir relever ce défi ! La participation active de la famille, des amis et voisins une nuit de pleine lune était requise pour espérer devenir ainsi propriétaire d'une maison rudimentaire, couverte de chaume et qui tenait plus de la hutte que d'une véritable habitation !

Une autre tradition attestée par les textes relatent la possibilité de démonter et déplacer les maisons qui sont "levables de dessus leurs fonds". Cette pratique a été relatée par Charles Revel en 1664. L'ossature en pans de bois, élevée sans véritable fondation, est constituée d'assemblages de pièces de bois simples et assises sur un simple soubassement en briques : la sole. Ce système autorise donc le déplacement de tout ou partie d'une habitation ou d'une grange, par exemple à l'occasion d'une succession entraînant un partage entre plusieurs héritiers. Ces bâtiments sont alors considérés comme détachés du sol et prennent le statut de biens meubles, et non immeubles.

Le prix du bois étant exponentiel dès le 17e siècle en Bresse, au point que les pièces équarries s'inscrivent dans la dot des jeunes mariées, il est devenu courant d'utiliser des poutres anciennes en réemploi. Les "prix faits", actes notariés passés entre charpentiers et seigneurs propriétaires, mentionnent précisément les conditions et les motifs de leur réutilisation.


Consulter d'autres ressources sur les fermes de Bresse



Envie de visiter ?

Ferme des Planons (musée de la Bresse) à Saint-Cyr-sur-Menthon : infos pratiques

Ferme de la Forêt à Courtes : infos pratiques

Ferme des Mangettes à Saint-Etienne-du-Bois (maison de pays en Bresse) : infos pratiques

Ferme du Sougey à Montrevel-en-Bresse : infos pratiques

 

Les mots à comprendre

Toponymie : étude des noms propres désignant un lieu.

Fenil : bâtiment rural où l'on conserve le foin.

Architecture vernaculaire : du latin vernaculus = indigène. Architecture propre à une région et une époque donnée.

Clayonnage : en patois bressan se dit clavignon, esclavinage. Vannerie de branchages comblant les pans de bois, destinée à recevoir du torchis.

Pisé (pizai) : du latin pisa = pilon. Désigne une construction réalisée en terre crue coffrée et tassée.

Pans de bois : ouvrage de charpenterie aussi nommé colombages, composé de poutres hautes et basses et de pièces de bois verticales ou transversales formant une ossature. 

Torchis : matériau non-porteur de remplissage des colombages, généralement en terre crue mélangée à de la paille ou du crin.

Serve : mot patois désignant une mare en Bresse.

Trapan : mot patois désignant un panneau de torchis ou de briques compris dans l'intervalle entre des pans de bois d'une façade.

Banche : élément de coffrage utilisé pour construire les murs en pisé. Les banches sont solidarisées par des pièces de bois posées en travers du mur, les clefs, qui laissent des trous après le décoffrage.

Équarrir : en charpenterie, tailler à angle droit

A lire sur le sujet

L'habitat rural en Bresse savoyarde de la Seille à la Chalaronne, Michel Bouillot. Collection Au coeur de nos terroirs, Foyers Ruraux de S.-&-L., 1995

Ouvrage en consultation au 
Centre de documentation - Service Patrimoine culturel