L'orfèvrerie de Trévoux

Dans l'orfèvrerie française de l'Ancien Régime, Trévoux tient une place à part. Le statut politique particulier de la principauté de Dombes permet aux orfèvres de venir s'y installer en bénéficiant d'un statut avantageux et d'une grande expérience locale dans le travail des métaux précieux (tréfilage). Ces facteurs combinés donnent naissance à une production très originale.

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Un centre de production indépendant

A une trentaine de kilomètres de Lyon, centre majeur de l’affinage des métaux précieux sur le territoire français, la ville de Trévoux a longtemps bénéficié d'un statut d'exception. Elle est en effet à partir du 16e siècle la capitale de la principauté de la Dombes, une souveraineté placée sous l'autorité des ducs de Bourbon et à ce titre politiquement indépendante de la couronne de France.


Les princes de Dombes administrent leur principauté en bénéficiant d'un régime très autonome, nombre de juridictions du royaume ne s'y appliquant pas. Ils y installent un parlement, un hôpital, un hôtel des monnaies, une chambre des comptes, une imprimerie (d'où sort le célèbre Dictionnaire de Trévoux) et attirent de nombreux artisans, séduits par des règlements moins contraignants. Parmi ceux-ci, on compte de nombreux orfèvres qui seront très actifs à Trévoux jusqu'à son rattachement à la couronne de France, en 1762.


être orfèvre à Trévoux

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Trois poinçons permettant d'identifier une pièce produite à Trévoux

Au 17e siècle, en France, la corporation des orfèvres est régie par une réglementation très stricte, puisqu'elle manipule et transforme du métal précieux (or et argent). Les orfèvres doivent notamment frapper (ou insculper) leurs pièces de plusieurs poinçons, des empreintes bien reconnaissables qui en assurent la traçabilité. Un premier poinçon, dit « de communauté », indique dans quelle ville la pièce a été exécutée. Un second, dit « de maître », identifie l'orfèvre. Enfin, à partir de 1672, deux déclarations de Louis XIV imposent des poinçons fiscaux, dits « de marque » et « de contremarque » qui témoignent que la pièce a été contrôlée par les fermiers généraux et qu'un impôt a été payé par l'orfèvre. Or, à Trévoux, ces deux déclarations royales ne s'appliquent pas. De plus, les conditions pour se déclarer orfèvre y sont moins rigides que dans le reste du royaume, et il n'y existe ni jurande, ni communauté.


Toutes les pièces produites à Trévoux portent donc trois poinçons : un poinçon couronné identifiant l'orfèvre de la pièce grâce à ses initiales ; un poinçon dit « du prince », aux armes du souverain de Dombes comportant trois fleurs de lys dans un ovale couronné ; un poinçon de la ville, aux armes de Trévoux, la tour couronnée.
A la fin du 17e siècle, les archives révèlent la présence de plusieurs orfèvres ; au 18e siècle, on en compte vingt-six, qui souvent forment des alliances matrimoniales. La dynastie des Bouvier domine incontestablement, mais il faut citer également Hubert Gérard, Jean-Memmie Raussin, Jacques Deberc, Guillaume-Nicolas Giroud ou Germain Dezeustre, dont les poinçons sont maintenant bien identifiés.


Orfèvrerie civile, orfèvrerie religieuse

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Cafetière. Jean-Memmie Roussin en activité à Trévoux de 1753 à 1777

La production des orfèvres trévoltiens, essentiellement constituée de pièces d'orfèvrerie d'argent, est de grande qualité, bien reconnaissable à ses grands poinçons très bien insculpés et très lisibles.
Ville riche, cité princière, Trévoux abrite une communauté aristocratique et bourgeoise opulente, ainsi que plusieurs institutions religieuses qui constituent une clientèle à la fois raffinée et exigeante. Mais les orfèvres vendaient également en dehors des limites géographiques et politiques de la principauté, à des amateurs attirés par des prix moins élevés que les productions lyonnaises, puisque les pièces n'étaient pas taxées.


L'orfèvrerie civile domine incontestablement la production trévoltienne de la fin du 17e siècle et du 18e. Elle se compose surtout de vaisselle de table : plats de service, terrine, verseuses (cafetières, chocolatières...), couverts, moutardiers, pots à sucre, etc. On trouve également des flambeaux et nombre de tasses à vin (ou tastevins).


En revanche, l'orfèvrerie religieuse trévoltienne est assez rare. Parmi les rares exemples connus, on recense une croix-reliquaire de Mathieu Bouvier, exécutée vers 1753-1756, conservée dans une église de l'Aude, et un calice du même orfèvre (vers 1758-1759) dans une église des Hautes-Alpes. Un orfèvre comme François-Luc Bouvier n'a produit quant à lui qu'une seule pièce religieuse répertoriée, un ciboire réalisé avant 1771, anciennement conservé à l'évêché de Mende (Lozère).


Protéger et exposer l'orfèvrerie de Trévoux

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Cuiller à saupoudrer (détail). Mathieu Bouvier, orfèvre trévoltien de 1746 à 1749

Les pièces d'orfèvrerie de Trévoux actuellement recensées se rencontrent pour l'essentiel dans des collections particulières.  Le musée du Louvre possède un tastevin de l'orfèvre Dominique Chantel (vers 1786-1787) et le Metropolitan Museum de New York un pot à lait de Mathieu Bouvier (vers 1746-1749).
Certaines pièces remarquables ont été exposées dans la première rétrospective sur  L’orfèvrerie de Lyon et de Trévoux du 15e au 20e siècle présentée au Musée des Arts décoratifs de Lyon en 2000, donnant lieu à la publication d’un catalogue, référence en la matière, réalisé par le Service régional de l’inventaire.


De son côté, la commune de Trévoux a entrepris, depuis plusieurs années, une politique ambitieuse d'acquisitions, afin de constituer une collection de pièces variées réalisées par sept orfèvres différents, aujourd’hui protégée au titre des monuments historiques, et qui sera présentée au public.

Voir la collection d'orfèvrerie de Trévoux



Les mots à comprendre

Jurande : sous l’Ancien Régime, on appelle jurande un groupement de professionnels unis par un serment mutuel basé sur l’observation des règlements qui régissent leur métier, la solidarité, et  la morale professionnelle.

Communauté : sous l'Ancien Régime, la communauté désigne un ensemble de personnes dont les statuts résultent généralement d'une Ordonnance royale, dans les domaines de l’organisation religieuse, des pouvoirs administratifs ou professionnels (les communautés de métier).

à lire sur le sujet

Les orfèvres de Lyon (1306-1791) et Trévoux (1700-1786), Godefroy Gisèle. Répertoire bibliographique, poinçons, œuvres, 1965

L’orfèvrerie de Lyon et de Trévoux du 15e au 20e siècle, Chalabi Maryannick et Charvolin Marie-Reine. Cahiers du patrimoine n° 58, Editions du patrimoine, 2000.

Ouvrages consultables au Centre de documentation - Service Patrimoine culturel