Des villages martyrs

Dans l’Ain, une centaine de villes ou villages a été touchée, certains plus durement que d’autres. Pour être déclarée sinistrée par arrêté ministériel, il faut que les destructions totales dans la commune soient supérieures à 30 %. Dans l’Ain, sont considérées sinistrées : Bellegarde, Belleydoux, Cerdon, Charancin, Coupy, Courmangoux, Cuisiat, Dortan, Farges, Grand-Corent, Pont-d’Ain, Pressiat, Saint-Maurice de Gourdans, Verjon.

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Résistants et représailles

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Photographie - Vue des ruines d'une rue de Dortan après l'incendie du 21 juillet 1944

La majorité des destructions surviennent durant l’année 1944. Les répressions perpétuées par l’Allemagne nazie deviennent plus violentes et cruelles en réponse à la résistance et la solidarité maquisarde toujours plus forte et infaillible. Elle entreprend trois grandes vagues de représailles sur le territoire, en février, en avril puis en juillet. Leur objectif est clair et énoncé : « que la Résistance [soit] brisée par tous les moyens et sans faire de quartier, que les maisons des maquisards [soient] détruites et brûlées et que tous les moyens de transport et tous les postes de radio [soient] réquisitionnés ».

Ces communes paisibles de l’Ain n’ont eu pour seule malchance que de se trouver sur le passage des Allemands.

Ici sont étudiées plus en détail les communes du Revermont (Courmangoux, Cuisiat, Pressiat, Verjon), Cerdon, Dortan, ainsi que le hameau de Chougeat, car bien qu’il n’ait pas subi de destructions massives, son histoire reste importante et forte.


Cerdon

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En haut, la rue du 12 juillet à Cerdon avant la Seconde Guerre mondiale. En bas, la même rue aujourd'hui après la Reconstruction

Cerdon est touchée à plusieurs reprises. Le 7 février 1944, la première maison est incendiée. Deux jours après, une maison est brûlée et huit hommes sont arrêtés et déportés. Les Allemands reviennent le 12 avril et incendient deux fermes. Puis le 12 juillet, c’est une violence inouïe qui s’abat sur le village : le maire, Emile Rougemont, le boulanger, Charles Bolliet et l’épicier du village, Francisque Corcellut, sont froidement exécutés dans la cour de la mairie. 80 maisons sont pillées et 52 complétements brûlées.

Au total, ce sont 56 maisons qui sont détruites après le passage de l’armée nazie. Elles se situent principalement le long de la route départementale, aujourd’hui appelée rue du 12 juillet. Les bâtiments reconstruits sont identifiables car ils ne sont plus en pierre mais avec une façade lisse en béton. Certains d’entre eux sont équipés d’un balcon arrondi, typique de cette période.


Chougeat

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En haut, une maison détruite à Chougeat. En bas, la maison reconstruite

À cette époque, le hameau de Matafelon-Granges est composé de six fermes, dont l’une est habitée par la famille Gouilloux : Lucien et Henriette ainsi que leurs enfants Rose et Alphonse. La famille cache depuis le mois de mars 1943 des réfractaires au Service du travail obligatoire et ravitaillent les maquisards installés dans la grotte de l’Ours. La famille paie cette solidarité le 11 avril 1944. La milice arrive à Chougeat, pille les six fermes, incendie le hameau et arrêtent 17 personnes dont tous les membres de la famille Gouilloux. Sept d’entre eux sont enfermés dans la prison de Montluc à Lyon, les autres relâchés. Les prisonniers sont ensuite déportés et transférés aux camps de concentration. Henriette, Lucien et leurs enfants rentrent sains et saufs des camps. Mais l’horreur continue lorsqu’ils retrouvent leur maison en ruine. La fille, Rose, alors âgée de 21 ans prend en photo sa maison en ruine et inscrit au dos de celle-ci : « Ma maison que j’ai retrouvé à mon retour des camps ».

La maison de la famille Gouilloux est la seule complétement détruite. Elle est reconstruite en 1947, au même emplacement. Elle est identifiable parmi les autres habitations qui l’entourent par sa façade enduite et son style sobre.


Les villages du Revermont : Verjon, Chevignat, Roissiat, Pressiat et Cuisiat

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Maison reconstruite à Pressiat

Le 18 juillet 1944, les troupes allemandes et cosaques quittent Salavre, où ils ont établi leur quartier général, et traversent le Revermont en suivant la route D52. Leur but est d’interroger les habitants des villages traversés pour obtenir des informations sur les maquisards. Ils profitent de ces interrogatoires pour piller les maisons et confisquer tous les moyens de communication et de transports. Les témoins racontent également qu’ils vident les caves et ouvrent les bouteilles d’alcool. Les soldats s’enivrent de plus en plus à chaque village traversé. Arrivés à Cuisiat, les Allemands se rendent compte que la solidarité entre les habitants est trop forte et que personne ne dénoncera les maquisards.  Un officier de la Wehrmacht donne alors l’ordre final : abandonner la mission qui est un échec, rebrousser chemin pour retourner dans chaque village visité et tout brûler. Ils lancent des plaques incendiaires au hasard dans les maisons, aveuglés par l’alcool et la rage. C’est ainsi que 45 maisons sont détruites à Cuisiat, 82 à Pressiat, 28 à Chevignat, 39 à Roissiat et 47 à Verjon, principalement le long de la D52. Cet évènement malheureux sera plus tard nommé « Grand Brûle » qui doit son nom à l’importance de l’incendie visible à des kilomètres à la ronde. 

Il faut plusieurs années pour reconstruire ces villages, ce qui explique la diversité des constructions : les baraques en bois, les maisons provisoires et les habitations reconstruites. Ces dernières arborent le style type de la reconstruction de cette région : le soubassement en pierre et le reste en mâchefer. Les architectes du département, Marc Dosse et Maurice Coste, participent à la reconstruction de ces villages martyrs.

Durant cette période, les municipalités en profitent pour revoir l’organisation de leur commune. Verjon fait agrandir ses rues et Pressiat réorganise son centre en réalisant notamment une place en face de sa mairie.


Dortan

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Collection Musée de la Résistance et de la Déportation de Nantua

L’horreur frappe la ville de Dortan le 20 juillet 1944 où 15 hommes sont interrogés et torturés à mort dans le château. Le lendemain, les Allemands transfèrent au château tous les dortanais qui n’ont pas fui. Puis, vers 7 h 00, ils incendient le village. En peu de temps, les bâtiments, bourrés de bois pour l’industrie de la tournerie, ne sont plus qu’un brasier. Le bilan est lourd, 175 maisons détruites.

La reconstruction de la commune va prendre plus de 10 ans. Une cité provisoire est donc construite avant que les habitants puissent retrouver leur habitation. Une fois encore, la reconstruction est une occasion de faire des aménagements et modifications urbanistiques. Avant-guerre, le village est constitué en grande majorité d'immeubles locatifs de quelques étages, dans lesquels les appartements sont souvent vétustes et exigus. Après la Reconstruction, ces bâtiments laissent place à des maisons individuelles, reconstruites par les propriétaires des anciens immeubles. Ainsi, ils font rebâtir, pour la plupart, des logements relativement spacieux avec des aménagements de confort moderne.

À Dortan, le « style MRU » se manifeste par des maisons imposantes, assez cubiques, avec un parement de pierre sur le soubassement ainsi qu’une façade et des appuis de fenêtre en béton.



Mot à comprendre

« style MRU » : style ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme 

À lire sur le sujet

Juillet Rouge, Chronique du 18 juillet 1944, Dupasquier Jérôme, Bourg-en-Bresse : Musnier-Gilbert Editions, 2004

Ouvrage en consultation au Centre de documentation - Service Patrimoine culturel

Des ruines au renouveau, le village de Dortan face aux épreuves de la Reconstruction (1944-1960), Parrad Mickaël, mémoire de deuxième année de master représentations et usages contemporains du passé de l’Université de Lyon 2, 2017